Entre déploiement des forces extérieures, initiatives multilatérales et soutien aux armées nationales, la lutte contre le terrorisme en Afrique présente un enchevêtrement inextricable d’acteurs et d’enjeux en recomposition permanente. Il importe dès lors de porter un regard plus incisif sur les forces à l’œuvre dans la croisade anti-djihadiste en Afrique. Qui sont-elles ? Que font-elles ? Comment comprendre que, malgré un nombre important d’acteurs engagés dans la lutte contre le terrorisme, le Sahel et la corne de l’Afrique demeurent des zones de non-droit ?
Le continent africain, en dépit du déploiement des initiatives contre le terrorisme ces dernières années, demeure un théâtre de montée en puissance du djihadisme international (1). D’après une étude du Centre d’études stratégiques de l’Afrique publiée en février 2023, « la violence liée aux groupes islamistes militants en Afrique a fortement augmenté, de 22 % au cours de l’année 2022, avec 6 859 événements. Cela représente un nouveau record de violence extrémiste ainsi qu’un doublement de ces événements depuis 2019. »
La violence des islamistes militants en Afrique continue de se focaliser sur cinq théâtres : le Sahel, la Somalie, le bassin du lac Tchad, le Mozambique et l’Afrique du Nord (2). Dans le même contexte, les décès attribués aux groupes islamistes militants ont augmenté de 48 %, tandis que la violence des islamistes militants au Sahel et en Somalie représentait à elle seule 77 % des événements violents recensés en Afrique en 2022. Au cours des deux dernières années, le Sahel a connu l’augmentation la plus rapide des activités d’extrémistes violents en Afrique. La région est non seulement au cœur des réseaux criminels et de divers trafics illégaux, mais vit aussi une augmentation de la violence entre éleveurs et agriculteurs (Africa Center). Ces tendances sécuritaires mêlant des facteurs structurels liés à la fragilité des États et des facteurs conjoncturels tributaires de la géopolitique internationale contribuent à une reconfiguration des forces en présence et certainement aussi à un rebattage des cartes sur la sphère internationale.
Cartographie des acteurs, menaces et enjeux
Dans la lutte contre le djihadisme, on peut distinguer, d’une part, les stratégies locales menées par les armées nationales africaines conjointement ou individuellement et, d’autre part, celles déployées par des acteurs non africains.
Les acteurs africains : des initiatives multilatérales, aux dispositifs ad hoc, et transnationales
Face au terrorisme international, les pays d’Afrique subsaharienne souffrent pour la plupart d’une faiblesse structurelle des appareils sécuritaires et des institutions étatiques. Ils multiplient donc des initiatives multilatérales pour combattre la nébuleuse terroriste.
• L’Union africaine
La Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) a soutenu le gouvernement de ce pays dans la lutte contre Al-Shabaab au cours des quinze dernières années. L’opération devait se terminer en décembre 2021, et un accord a finalement été conclu sur ce qui semble être simplement un changement de nom et une extension du mandat existant.
L’Union africaine (UA), les Nations Unies (ONU) et le gouvernement somalien ont décidé que, le 1er avril, l’AMISOM serait remplacée par la Mission de transition de l’UA en Somalie (ATMIS). La nouvelle mission fonctionnera jusqu’à la fin de l’année 2024, après quoi toutes les responsabilités seront confiées aux forces de sécurité somaliennes. La capacité de l’ATMIS d’environ 18 000 soldats, 1 000 policiers et 70 civils reflète son prédécesseur, tout comme une grande partie de son mandat.
• Le G5 Sahel
Institué le 16 février 2014 à Nouakchott en Mauritanie, le G5 Sahel est une organisation regroupant cinq pays en proie au terrorisme dans le Sahel à savoir le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Il permettait aux États membres de mutualiser leurs efforts dans la lutte contre les djihadistes armés dans le Sahel. Après la fin actée de l’opération « Barkhane » et de la coopération militaire française en général, le gouvernement malien a annoncé, le 15 mai 2022, son retrait du G5 Sahel, y compris de sa force conjointe, ce qui laisse peser de sérieux doutes sur la survie de cette force désormais devenue G4. Parmi les cinq États membres, c’est le Mali qui possède le PIB le plus important même s’il ne représentait que 17,39 milliards de dollars en 2020. Trois de ces pays (Burkina Faso, Mali et Tchad) sont actuellement en transition politique et militaire.
• La Force mixte multinationale
La Force mixte multinationale (FMM) est une coalition constituée des États membres de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) afin de lutter contre le terrorisme dans le pourtour du lac Tchad. Elle comporte des contingents du Cameroun, du Niger, du Nigéria et du Tchad. Depuis 2014, elle combat activement les militants de Boko Haram et de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP).
• La Mission de la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe) au Mozambique (SAMIM)
Elle a été déployée le 15 juillet 2021 après l’approbation du Sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement des États membres en tant que réponse régionale pour aider la République du Mozambique à combattre le terrorisme et les actes d’extrémisme violent. Les forces de la SAMIM sont composées des troupes de huit pays à savoir l’Angola, le Botswana, la République démocratique du Congo (RDC), le Lesotho, le Malawi, l’Afrique du Sud, la République-Unie de Tanzanie et la Zambie, travaillant en collaboration avec les Forces armées du Mozambique (Forças armadas de defesa de Moçambique — FADM) et d’autres troupes déployées à Cabo Delgado pour combattre les actes de terrorisme et l’extrémisme violent. Depuis son déploiement, la SAMIM a enregistré des victoires, notamment la reprise de villages, le délogement des terroristes de leurs bases et la saisie d’armes et de matériel de guerre, ce qui a contribué à créer un environnement relativement sûr pour un passage de l’aide humanitaire. Cette mission s’illustre comme un exemple de déploiement sous-régional en Afrique avec des résultats encourageants.
Les acteurs non africains : une cause commune aux enjeux multiples
• Les Nations Unies
L’ONU compte actuellement six missions actives sur le continent africain, notamment la Mission de l’organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) qui compte 17 753 hommes, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA) avec 18 486 hommes, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) avec 17 430 hommes, la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS) avec un effectif de 17 954 hommes, et la Force intérimaire de sécurité des Nations Unies pour Abiyé (FISNUA) avec un personnel de 3 156 personnes. La sixième mission, celle des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO), constituée de 469 personnes au total, dont 20 militaires et 2 policiers, n’a pas vocation à combattre. Au total, le personnel onusien engagé dans les opérations de paix en Afrique s’élève à 75 248 personnes.
La plus engagée dans la lutte anti-djihadiste est la MINUSMA, créée par la résolution 2100 du Conseil de sécurité, du 25 avril 2013, pour appuyer le processus politique et sécuriser le Mali. Son mandat a été réorienté par l’adoption de la résolution 2164 du 25 juin 2014, mettant en avant des tâches prioritaires telles que la sécurité, la stabilisation et la protection des civils, l’appui au dialogue politique national et à la réconciliation nationale, ainsi qu’à l’appui au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays, à la reconstruction du secteur de la sécurité au Mali, à la promotion et à la protection des droits de l’homme, et à l’aide humanitaire (3). En février 2023, le personnel de la MINUSMA déployé sur le terrain s’élevait à 17 430 hommes dont 11 739 militaires, 1 601 policiers, 3 384 civils, 504 cadres et 202 volontaires. Cette force n’a cependant pas pu empêcher l’enlisement de la situation sécuritaire qui a abouti à des putschs militaires successifs en 2020 et en 2021.
• La composante américaine
Les États-Unis ont fourni presque huit milliards de dollars d’aide au secteur de la sécurité depuis l’exercice fiscal 2019. Ses partenaires en Afrique comptent entre autres la Libye et les pays du littoral ouest-africain. Au cours des deux dernières décennies, les efforts américains de lutte contre le terrorisme à travers l’Afrique ont principalement été concentrés sur la formation et l’accompagnement des partenaires africains, sur des programmes de formation conçus pour renforcer les capacités des militaires africains et des forces de sécurité. Les États-Unis ont également régulièrement soutenu les efforts de la France au Sahel, offrant un soutien logistique et une assistance en matière de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR) aux interventions antiterroristes françaises depuis le début de l’opération « Serval » en 2013 (plus tard l’opération « Barkhane »).
Cependant, l’embuscade de Tongo Tongo en 2017, au cours de laquelle quatre militaires américains ont été tués aux côtés de cinq soldats et interprètes nigériens, a conduit à remettre en question l’utilité des bottes américaines sur le terrain au Sahel. En outre, la détérioration des relations de la France avec le Mali et le Burkina Faso ces dernières années a compliqué les efforts américains en matière de contre-terrorisme. Une base de drones américains est en construction à Agadez, dans le Nord du Niger, pour un coût de 100 millions de dollars. Les États-Unis entretiennent un archipel de bases en Afrique du Nord et de l’Ouest dans le cadre de leurs efforts de sécurité au sens plus large dans la région.
• La composante française
Longtemps restée le principal partenaire occidental dans la lutte antiterroriste en Afrique, la France connaît depuis quelques années un net recul au profit des puissances concurrentes au premier rang desquelles se place la Russie.Entre 2013 et 2022, les forces armées françaises étaient engagées au Sahel dans le cadre des opérations « Serval » (2013-2014) puis « Barkhane » (2014-2022). Après plus de neuf ans de présence militaire au Mali, elle a été sommée par les autorités de Bamako de quitter le territoire, sans délai. En janvier dernier, c’est le Burkina Faso qui demandé également le départ des forces spéciales de l’opération « Sabre » basées à Ouagadougou.
La France conserve cependant plusieurs bases militaires implantées depuis des décennies, parfois depuis l’indépendance des pays (4) :
– 350 hommes sont présents à Dakar depuis 2011, au sein d’un pôle opérationnel de coopération à vocation régionale.
– 950 hommes occupent la base opérationnelle française implantée en Côte d’Ivoire, suite à la signature d’un partenariat de défense conclu en 2012 entre Paris et Abidjan et suite à la fin de l’opération de maintien de la paix « Licorne ».
– 1500 hommes, soit le plus important contingent militaire en dehors du territoire français sont présents à Djibouti, avec qui un nouvel accord de défense est en vigueur depuis 2014. Cette installation sert notamment de lieu d’entraînement pour les forces spéciales qui contribuent aussi à la lutte contre la piraterie en mer Rouge et autour de la Corne de l’Afrique.
– 350 hommes stationnent au Gabon, où la France a signé des accords de défense à l’indépendance du pays en 1960, renouvelés en 2011 entre Paris et Libreville.
– 2500 hommes sont présents au Tchad et au Niger (5). Au Tchad, la France posséde des troupes depuis le lancement de l’opération « Épervier » lancée en 1986, puis renforcée dans le cadre de l’opération « Barkhane » en 2014. La principale base de l’armée française au Tchad se trouve à N’Djamena, avec une base aérienne projetée ainsi qu’une force de projection terrestre. L’armée française utilise également des bases opérationnelles de l’armée tchadienne dans le Nord du pays à Faya et Abéché. La France est également présente au Niger depuis que le pays s’est désengagé du Mali. Le Niger est désormais le principal point d’appui français au Sahel. Si la France a divisé sa présence par deux dans la zone, le contingent restant a pour mission de sécuriser la frontière entre le Mali et le Niger, limiter les risques de déstabilisation et soutenir les forces armées nigériennes face aux djihadistes liés à Al-Qaïda ou au groupe État islamique dans le Grand Sahara.
• Le dispositif russe
Dans un contexte de confrontation Est-Ouest nourrie par la guerre en Ukraine, la Russie intensifie sa présence de manière fort controversée sur le continent africain, notamment à travers le groupe paramilitaire Wagner. La stratégie de la Russie en Afrique est plutôt complexe et dynamique, mêlant conglomérats miniers, ventes d’armes et déploiement de forces paramilitaires. Dans un cadre garantissant les intérêts de l’État, le gouvernement russe permet aux acteurs privés et semi-étatiques de soutenir ses objectifs en poursuivant leurs propres intérêts. Dans les secteurs de l’extraction et de l’énergie, par exemple, les firmes Alrosa, Rusal, Rosatom et Gazprom sont actives sur tout le continent africain.
Même si la compagnie militaire privée Wagner reste la plus connue en raison du rapprochement de son promoteur Evgueni Prigojine avec le Kremlin, elle n’est pas la seule à opérer sur le terrain. Wagner est présent en Libye, au Mali, au Soudan, en République centrafricaine, à Madagascar et au Mozambique. D’autres firmes militaires privées sont également actives sur le contient, notamment le Patriot Group qu’on retrouve entre autres au Burundi et en Centrafrique, et la Sewa Security Services, aussi présente en Centrafrique. Profitant d’un sentiment d’insatisfaction des pays du Sahel vis-à-vis des partenaires sécuritaires occidentaux habituels, la Russie a renforcé ses liens avec les régimes militaires au pouvoir en Guinée et au Mali, jouant à fond la carte de puissance de rechange face à la montée du djihadisme que connaissent ces pays.
Face à la concurrence américaine, chinoise et française, on assiste aujourd’hui à un basculement au profit de la Russie sur le théâtre africain. Comme le rapporte le journal Le Monde, « au cours des cinq dernières années, de 2018 à 2022, Moscou a repris à Pékin la place de premier vendeur d’armes en Afrique subsaharienne avec un total de 26 % de parts de marché, contre 21 % sur la période précédente, selon un rapport publié par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) en mars 2023. Cette fraction grimpe même à 40 % si l’on inclut le Maghreb, où l’Algérie est historiquement un important client des entreprises russes d’armement. La Chine, de son côté, a vu ses parts de marché plonger de 29 % à 18 % dans la sous-région, passant ainsi à la seconde place, devant la France (environ 8 %) et les États-Unis (5 %) » (6).
Défis et perspectives d’une bataille géopolitique internationale aux allures de lutte antiterroriste
Plus qu’une simple volonté de combattre le terrorisme dans le Sahel, la déferlante des puissances extra-africaines revêt davantage des relents d’une bataille géopolitique pour le contrôle des espaces dont l’issue reste incertaine. Comme dans d’autres domaines tels que les infrastructures, l’énergie ou les mines, il existe actuellement une intense compétition entre les pays exportateurs d’armes en Afrique. Une bataille économico-diplomatique dans laquelle Moscou s’est montré particulièrement actif ces dernières années, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’efficacité de la croisade antiterroriste en Afrique.
• Une lutte antiterroriste porteuse de risques pour les pays africains ?
Le déploiement des acteurs multiples parfois mus par des rivalités géopolitiques sur le théâtre africain contribue non seulement à la persistance des menaces sécuritaires liées au djihadisme international, mais aussi à l’émergence de nouveaux défis et risques pour les États africains.
• Captation des États et mise en coupes réglées de leur souveraineté
L’entrée des groupes paramilitaires sur la scène africaine avec des ramifications dans les secteurs miniers et énergétiques vient remettre en question la souveraineté des États fragiles. Pour certains, on assiste simplement à une véritable capture des États par des groupes paramilitaires de certaines puissances. L’archétype de l’État sous tutelle des groupes paramilitaires privés ou parapublics est la République centrafricaine. Elle est perçue comme étant une quasi-propriété du groupe Wagner qui sous-traiterait stratégiquement pour le Kremlin (7). La captation d’État est une forme particulièrement néfaste de corruption systémique qui implique que des particuliers acquièrent une influence si profonde sur les hauts fonctionnaires que les institutions de l’État donnent la priorité au bien-être de ses intérêts privés par rapport au bien public.
• Le retour des régimes autoritaires
Sous couvert des réponses aux besoins sécuritaires, on assiste à un retour des régimes autoritaires dans des pays où le processus de démocratisation commençait à prendre graine. Cela se manifeste par des coups d’État militaires ou par le durcissement des régimes en place. D’août 2020 à janvier 2022, par exemple, quatre coups d’État se sont succédé dans l’espace africain francophone au Mali, au Tchad, en Guinée et au Burkina Faso. Le retour d’une série de coups d’État militaires en Afrique sape l’utilisation d’élections multipartites comme seul moyen légitime d’accéder à des fonctions politiques. Cela semble faire partie d’un processus plus large d’« autocratisation » qui a été observé ces dernières années dans plusieurs pays et régions du monde. Les interventions de l’armée au Burkina Faso, au Mali, en Guinée, au Soudan et au Tchad révèlent que l’Afrique n’est pas épargnée par cette tendance et soulignent la fragilité des processus de démocratisation en cours en Afrique.
• La surexposition des populations à la propagande et à la manipulation de masse
Elle est une résultante majeure de la compétition géopolitique que se livrent les grandes puissances sur le sol africain. Le sentiment anti-français en Afrique de l’Ouest et centrale, par exemple, s’accompagne de manifestations pro-russes. Une sorte de substitution d’un « maître » par un autre que beaucoup attribuent aux effets de la propagande pro-russe sur les populations. En somme, qu’il s’agisse des Français, Américains, Russes ou autres, chacun use des canaux dont il dispose afin de gagner la bataille de l’opinion publique, la télévision satellitaire et les réseaux sociaux faisant partie des instruments les plus présents en Afrique.
• La radicalisation d’une jeunesse africaine plus ouverte aux mutations du monde
Les soulèvements de rue hostiles aux puissances occidentales sont essentiellement portés par une jeunesse africaine plus au fait de la conjoncture internationale. Aujourd’hui, 62 % des Africains ont moins de 30 ans. Avec plus de 200 millions d’habitants âgés de 15 à 24 ans, l’Afrique est composée de la plus forte population jeune dans le monde. Économiquement marginalisée, relativement éduquée et aspirant à de meilleures conditions, cette composante de la population reste très vulnérable à la radicalisation, à l’extrémisme violent, au recrutement dans des bandes armées et à la dérive terroriste.
Quel bilan pour la croisade antiterroriste en Afrique ?
À l’observation des différentes forces déployées pour combattre le terrorisme en Afrique, on constate une stagnation voire une détérioration des conditions sécuritaires. Le Sahel demeure une zone en proie aux trafics de toutes sortes et aux groupes islamistes. La stabilisation du Congo, entreprise depuis 1999, n’est toujours pas effective. Les djihadistes émergent progressivement en Afrique australe, notamment au Mozambique. Les batailles géopolitiques entre les acteurs sur le terrain de la lutte antiterroriste ne favorisent ni la consolidation des appareils sécuritaires étatiques, ni l’amélioration qualitative de la sécurité dans le Sahel et la corne de l’Afrique. À titre d’exemple, le coup d’État en août 2020 par une junte militaire au Mali a été justifié comme étant nécessaire pour répondre à la menace sécuritaire des islamistes militants.
De plus en plus d’attaques se produisent dans un rayon de 150 kilomètres de Bamako. Un schéma similaire se déroule au Burkina Faso où le premier des deux coups d’État militaires s’est produit en janvier 2022. Le pays a par la suite subi, cette année, une augmentation de 69 % des décès, atteignant 3 600 morts imputables aux islamistes militants. Il en découle la nécessité de s’attaquer à la fois aux symptômes et aux causes profondes du terrorisme.
Les moyens militaires et de sécurité ne peuvent à eux seuls éliminer pleinement et complètement les menaces du terrorisme en Afrique. Le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la RDC, le Mozambique, le Nigéria et autres ont en commun d’être des États fragiles. En somme, de même que l’amélioration de la gouvernance intérieure devrait permettre la consolidation des institutions et le renforcement de leur résilience face au djihadisme, celle de la gouvernance mondiale devrait aboutir à une meilleure prise en compte des enjeux locaux.
En réalité, ces difficultés sécuritaires cachent un problème structurel plus profond et existentiel pour les États du Sahel. L’accroissement et l’expansion de la violence renvoient à l’échec de la construction des États par l’extérieur et d’une cohésion nationale, à la fois cause et conséquence de fragilités économiques, sociales et politiques, parfois latentes, s’associant aux effets du changement climatique.
Les inégalités socioéconomiques sont fortes et se traduisent par une concentration de la richesse au sein d’un groupe restreint de personnes. Dans l’ensemble des pays, une part de 10 % de la population bénéficie en effet de 40 %, ou plus, du revenu national (8). Les inégalités socioéconomiques se déclinent sur le plan territorial, avec des disparités entre les capitales et le reste du pays, entre les zones urbaines et rurales ainsi que, pour les pays côtiers, entre le littoral et l’intérieur des terres. Le Sahel et la région du lac Tchad sont très représentatifs. L’économie locale est relativement sous-développée et les habitants ont du mal à gagner leur vie. Les forces terroristes profitent donc de la situation et ciblent les jeunes chômeurs pauvres issus de milieux défavorisés pour les recruter.
La lutte incessante de l’Afrique contre le terrorisme semble indiquer que les réponses de l’UA et de ses États membres ne sont pas en adéquation avec la nature d’une menace qui n’est pourtant pas nouvelle (9). Le renforcement des capacités sécuritaires des États devrait être un impératif guidé par l’expression des priorités nationales, le respect des partenaires locaux et l’encouragement aux pratiques de bonne gouvernance et de redistribution intérieure des richesses. La communauté internationale devrait remédier aux faiblesses du renforcement des capacités de sécurité dans les pays africains et intensifier son soutien en termes de financement, d’équipement, de renseignement, de formation et de soutien logistique.
En outre, il faudrait respecter la souveraineté des pays et leur droit à la sécurité. Les embargos sur les armes imposés au Soudan, au Soudan du Sud ou à la RDC ont eu un impact négatif sur la capacité de ces pays à se prendre en charge, sans réduire pour autant de manière substantielle l’insécurité à laquelle ils font face. Ils devraient donc être ajustés ou levés en temps opportun (10).
On observe une recrudescence des activités terroristes sur le continent africain, marquée par des escalades au Sahel, dans le bassin du lac Tchad, dans le Nord du Mozambique et dans certaines parties de l’Afrique du Nord. Les efforts déployés ces vingt dernières années par les gouvernements et les organisations régionales et internationales, notamment l’UA et ses partenaires, pour réprimer et affaiblir les groupes extrémistes violents, n’ont donc pas réussi à contenir cette intensification. Pourtant, malgré cet esprit constructif de partenariat international pour la paix en Afrique, d’importants défis économiques, politiques et institutionnels subsistent. La montée du sentiment anti-occidental dans le Sahel et dans le reste du continent en général est sans doute liée à la propagande intensive de certains acteurs géopolitiques, mais très certainement aussi et surtout, au paternalisme décrié dans l’approche de la coopération Nord/Sud qui, au fil du temps, s’avère improductive. Ceci met en exergue la nécessité de défendre une vision sécuritaire intégrée, coopérative et durable, et celle d’avoir la présence de forces régionales coordonnées pour répondre collectivement aux défis auxquels font face les États d’Afrique. Peut-être est-il temps pour la communauté internationale de prêter davantage attention aux centres d’intérêts des pays africains ?
Notes
(1) Dr Claudia Pfeifer, « Multilateral peace operations in 2022 : Developments and trends », SIPRI, 29 mai 2023 (https://www.sipri.org/commentary/topical-backgrounder/2023/multilateral-peace-operations-2022-developments-and-trends).
(2) Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Les décès provoqués par la violence des islamistes militants d’Afrique augmentent de près de 50 % », 10 février 2023, (https://africacenter.org/fr/spotlight/les-deces-provoques-par-la-violence-des-islamistes-militants-dafrique-augmentent-de-pres-de-50/).
(3) Nations Unies, Maintien de la paix, « MINUSMA : Appui au processus politique et aide à la stabilisation du Mali », avril 2023 (https://peacekeeping.un.org/fr/mission/minusma).
(5) https://www.defense.gouv.fr/operations/operations
(6) Guido Lanfranchi, Kars de Bruijne, The Russians are coming ! The Russians are coming ? Russia’s growing presence in Africa and its implication for European policy, CRU Report, Clingendael, juin 2022, p. 18 (https://www.clingendael.org/sites/default/files/2022-06/The_Russians_are_coming_4eproef.pdf) et https://rb.gy/1gw9k.
(7) Joseph Siegle, « How Russia is pursuing state capture in Africa », LES, 21 mars 2022 (https://blogs.lse.ac.uk/africaatlse/2022/03/21/how-russia-is-pursuing-state-capture-in-africa-ukraine-wagner-group/).
(8) Amandine Gnanguênon, Antonin Tisseron, « Afrique de l’Ouest : fragilités structurelles, expansion djihadiste et conflits régionaux », Politique étrangère, 2023/2 (Été), p. 123-134 (https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2023-2-page-123.htm).
(9) Institut d’études de sécurité, « L’approche africaine de la lutte contre le terrorisme reste inadaptée », 11 janvier 2023 (https://issafrica.org/fr/iss-today/lapproche-africaine-de-la-lutte-contre-le-terrorisme-reste-inadaptee).
(10) Permanent Mission of the People’s Republic of China to the UN, « Remarks by Ambassador Zhang Jun at the UN Security Council High-Level Debate on “Counter Terrorism In Africa” », 10 novembre 2022 (http://un.china-mission.gov.cn/eng/chinaandun/202211/t20221112_10973112.htm).
Joseph Vincent Ntuda Ebodé
Hassan Njifon Njoya