L’année 2022 s’est terminé avec des actualités de premier ordre pour l’Australie, plaçant ce pays laissé en marge des relations internationales au cœur des enjeux géopolitiques contemporains. En mai 2022, les travaillistes ont mis fin à neuf années de gouvernement libéral-conservateur et doivent gérer une île-continent qui affronte des défis environnementaux, énergétiques et stratégiques.
Désigné Premier ministre le 23 mai 2022, deux jours après les élections fédérales, Anthony Albanese a hérité d’une Australie en quête d’un avenir meilleur, alors que l’inflation a atteint 6,1 % en juin 2022 (données officielles) dans un contexte de faible croissance (0,9 %), et que le niveau des émissions de CO2 par habitant est l’un des plus élevés de la planète (15,2 tonnes en 2019). Incendies géants – entre août 2019 et février 2020, ils ont ravagé environ 115 000 kilomètres carrés –, sécheresses et inondations ont marqué ces dernières années un territoire victime du changement climatique.
Défi énergétique
Le scrutin du 21 mai 2022 se caractérise par l’arrivée au sein de la coalition gouvernementale des Verts, forts de quatre députés sur 151 à la Chambre des représentants (contre un auparavant) et 12 sénateurs sur 76 (contre neuf). Anthony Albanese souhaite faire de son pays une « superpuissance du renouvelable », et son mouvement, le Parti travailliste, a besoin de ces 16 élus pour renforcer sa courte majorité avec 77 députés et 29 sénateurs, tandis que la coalition libérale-conservatrice en a obtenu 58 et 31, perdant 25 sièges. On notera la percée des indépendants (10 mandats), appelés « teals », connus pour leur engagement pour la protection de l’environnement et la lutte pour l’égalité des genres. Si les Verts ont l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 74 % d’ici à 2030, la transition énergétique est un défi majeur en Australie : elle est le deuxième exportateur mondial de charbon (390 millions de tonnes en 2020), chiffre stable depuis une décennie, et elle partage la première position avec le Qatar pour le gaz naturel liquéfié. Un large pan de son économie, donc de sa croissance et de la reprise post-Covid-19 en pleine guerre d’Ukraine, dépend des ressources fossiles.
Le gouvernement Scott Morrison (2018-2022) avait évoqué la piste de l’hydrogène « propre » obtenu grâce au développement des nouvelles technologies. Il s’agit de deux sources différentes : un hydrogène issu d’énergies renouvelables et un second produit à partir du charbon et du gaz, ce dernier étant rejeté par les Verts. Face à l’enjeu de conserver les emplois dans un pays minier, l’Australie pourrait développer le solaire dans un territoire très ensoleillé et peu peuplé. Reste à Canberra à lancer une impulsion nationale dans une nation où les décisions se prennent essentiellement à l’échelle fédérée, tout en sachant qu’Anthony Albanese doit redonner à l’exécutif central une aura démocratique malmenée par son prédécesseur, qui s’était autoattribué cinq fonctions ministérielles en plus de celle de Premier ministre, entre mars 2020 et mai 2022, pour gérer la pandémie de Covid-19. De plus, une part grandissante de la société et de la scène politique s’interroge sur le modèle monarchique après le décès d’Élisabeth II le 8 septembre 2022, le souverain du Royaume-Uni étant le chef de l’État australien. Un poste de « ministre délégué pour la République » a été créé.
Résister à la Chine
Sur la scène internationale, l’administration Anthony Albanese hérite d’une situation de fortes tensions dans le Pacifique sud, espace où l’Australie a longtemps fait office de « gendarme », avec l’envoi de militaires, de policiers et de fonds d’aides. Canberra tente de résister aux ambitions chinoises, Pékin investissant dans les infrastructures de nombreux archipels, générant une dépendance économique et politique. Si la République populaire est le premier partenaire commercial de l’Australie, cette dernière reste affiliée d’un point de vue stratégique aux Occidentaux, notamment au sein de l’alliance AUKUS, créée en septembre 2021 avec les États-Unis et le Royaume-Uni, pour contrer l’avancée chinoise.
Pour cela, Canberra avait dû annuler un contrat de 56 milliards d’euros avec la France, pour acquérir 12 sous-marins, au profit de ses alliés anglo-saxons, déclenchant avec Paris une crise diplomatique. La note est salée pour le nouveau gouvernement : en juin 2022, un accord a été trouvé pour payer 555 millions d’euros de dommages et intérêts. Et les effets géostratégiques sont incertains : en attendant l’aide des Américains et des Britanniques, l’Australie se contente d’une flotte vieillissante pour affronter la force de frappe de la Chine dans le Pacifique.
Guillaume Fourmont
Frédéric Miotto