vendredi 21 décembre 2018

En attendant un futur missile commun, la France propose l’Exocet au Royaume-Uni


Depuis l’été 2017, la France et le Royaume-Uni mènent une étude de concept en vue de développer conjointement le remplacement de leurs missiles antinavire et missiles de croisière. Il s’agit de d’assurer à l’horizon 2030 la succession des actuels Exocet et Harpoon, ainsi que des Scalp EG/Storm Shadow, sur la base desquels est par ailleurs conçu le MdCN produit pour les frégates et sous-marins français. Ce projet est connu en France sous le nom FMAN/FMC (Future missile anti-navires/Futur missile de croisière).

Problème : les Britanniques vont devoir gérer un important trou capacitaire avec le retrait du service du Harpoon, prévu en 2023. L’ensemble de la flotte britannique, bâtiments de surface comme sous-marins (qui ne mettent déjà plus en œuvre le Sub Hapoon), sera alors privée de cette capacité militaire de premier plan. Un problème que n’aura pas la France puisqu’elle développe de son côté l’Exocet MM40 Block3c et modernise les versions air-mer (AM39) et sous-marine (SM39) de son missile afin précisément de faire la jointure avec le futur programme FMAN/FMC.


Tir d'un missile Exocet MM40 depuis une frégate du type La Fayette 
(©  MARINE NATIONALE)


Rafale Marine avec un Scalp EG sur le porte-avions Charles de Gaulle 
(©  MARINE NATIONALE)


D’où l’idée de la France d’offrir au Royaume-Uni la possibilité d’employer temporairement des Exocet, soit via l’acquisition d’un lot de missile, ou éventuellement d’une location. Une proposition a été faite en ce sens, l’emploi par la Royal Navy du missile français étant techniquement faisable moyennant quelques adaptations. Et ce ne serait d’ailleurs pas une première puisque les bâtiments britanniques ont déjà embarqué des Exocet, mais c’était il y a longtemps. Le Royaume-Uni fut en effet initialement partenaire de ce programme et équipa à la fin des années 70 et au début des années 80 ses frégates du type 21 (Amazon), les unités du type 22 Batch I (Broadsword) et Batch II (Boxer), ainsi que certaines Leander (type 12). Le dernier bâtiment équipé a été retiré du service en 2002.

Outre cette proposition française, qui n’a semble-t-il pas reçu d’écho pour le moment, les Britanniques pourraient aussi décider de prolonger le Harpoon, d’autant que côté américain l’US Navy est entrée en négociations avec Boeing pour remettre en service le Sub Harpoon sur ses sous-marins nucléaires d'attaque.

Tir d'un missile Harpoon 
(©  US NAVY)


Cette question du trou capacitaire britannique en missiles antinavire est en tous cas prise très sérieusement en compte à Paris, où l’on craint en fait par-dessus que Londres décide d’acquérir un autre missile, comme le nouveau LRASM de Lockheed Martin dont la première version est en train d’équiper l’US Air Force. Une arme qui est aussi un missile de croisière.

Il est donc primordial pour la France de maintenir son partenaire dans le projet FMAN/FMC. A ce titre, il est intéressant d’observer les conclusions de la mission d’information menée conjointement ces derniers mois par Commission de la Défense de l’Assemblée nationale et son homologue de la Chambre des communes britannique. Un travail parlementaire commun avec un autre pays, et conduit à l’initiative des députés, qui constitue une première sous la Vème République. « À l’heure du Brexit, alors que certains s’interrogent sur la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, il n’est pas anodin que les députés des deux pays aient décidé de travailler ensemble pour réaffirmer leur attachement à la relation bilatérale de défense. La qualité de notre coopération se mesure à son intensité ainsi qu’à sa constance. Relancée par les accords de Lancaster House du 2 novembre 2010, notre coopération repose aujourd’hui sur de nombreux projets, parmi lesquels la constitution d’une force expéditionnaire interarmées commune (CJEF), la guerre des mines ou encore le développement d’une capacité de déploiement d’une flotte aéronavale intégrée. Le degré de confiance entre nos deux pays s’exprime aussi au travers d’un partage inégalé d’installations de simulation en matière de dissuasion nucléaire », expliquent les députés Natalia Pouzyreff (LaREM, Yvelines) et Charles de la Verpillière (LR, Ain), qui ont présenté les conclusions de leur rapport le 12 décembre.

Concernant le programme FMAN/FMC, les parlementaires se veulent confiants mais attirent justement l’attention sur cette problématique du trou capacitaire à venir dans la Royal Navy : « Pour l’heure, nous n’en sommes encore qu’au stade des études. La phase de concept en cours, dont un important jalon devra être franchi au début de l’année 2019, doit notamment permettre d’affiner le besoin opérationnel et la solution technologique qui sera retenue pour y répondre. Certaines questions devront être résolues, la principale d’entre elle concernant la manière dont le Royaume-Uni fera face au « trou capacitaire » en matière de capacité antinavire lourde à compter de 2023.  Nous sommes confiants quant à notre aptitude à parvenir à un accord, tant ce programme importe pour nos deux pays, d’un point de vue politique, opérationnel, économique, industriel et budgétaire. Ce type de programme d’armement est aujourd’hui indispensable au maintien de notre supériorité stratégique dans un monde qui se fait chaque jour plus menaçant ».

Le développement de ces futurs missiles doit en effet assurer l’autonomie stratégique des deux pays sur le plan industriel et technologique, et bien sûr la capacité d’action souveraine de leurs forces armées, tout en mutualisant les investissements et la production afin de réduire les coûts. D’autant que tout ou partie du programme pourrait être étendu à d’autres pays européens, le Scalp EG étant par exemple en service dans six nations de l’actuelle UE.

Sur le plan technique, on s’oriente plutôt, aujourd’hui, sur une famille de missiles devant partager un maximum de fonctions communes. Mais l’antinavire et la frappe en profondeur impliquant des caractéristiques différentes, il devrait bien s’agir, pour des questions d’efficacité opérationnelle, de deux armes différentes. Pour l’antinavire, une vitesse supersonique et une grande manoeuvrabilité seront privilégiées afin de contrer les défenses adverses, alors que le futur missile de croisière devrait rester, comme c’est le cas aujourd’hui un engin subsonique, l’accent étant mis sur sa furtivité.

 Vincent Groizeleau