Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 20 novembre 2010

Dans les aéroports américains, la rage contre la machine

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La rébellion contre les scanners corporels capables de «déshabiller» les passagers et de permettre un contrôle rapide et anonyme aux aéroports s’organise avec un nouvel héros

Le week-end de l’Action de grâce, sa dinde traditionnelle, ses visites à la famille, ses fouilles corporelles… Alors que 24 millions d’Américains s’apprêtent à prendre l’avion à l’occasion des fêtes de Thanksgiving, la polémique grandit aux Etats-Unis. Jusqu’où, dans ce pays qui se considère comme celui de la liberté individuelle, accepter l’intrusion de l’Etat au nom de la sécurité collective? Jusqu’aux recoins les plus intimes a tranché la Transportation Security Administration (TSA), l’agence étatique chargée notamment de la sécurité dans les aéroports.

Il y a trois ans, les responsables de la sécurité présentaient ces machines avec fierté: un scanner corporel capable de «déshabiller» les passagers et de permettre un contrôle rapide et anonyme aux aéroports, rendant impossible le transport de toute arme, ustensile ou substance dangereux sous les vêtements. Aujourd’hui, l’usage de ces machines s’est généralisé: on en dénombre 400 dans une soixantaine d’aéroports du pays. Piqués au hasard, les passagers et les membres d’équipage ont ainsi de bonnes chances de finir «scannés» un jour ou l’autre.

Mais la grogne, elle aussi, s’est généralisée devant ces contrôles et à l’apparition sur les écrans (dans des salles de contrôles fermées) de corps humains qui ne laissent plus guère de place à l’imagination. Plusieurs organisations de défense des droits fondamentaux ont appelé à la rébellion. D’autres ont insisté sur le caractère potentiellement dangereux pour la santé du passage devant les rayons X. Certains, enfin, y voient la négation pure et simple du rêve américain de liberté.

D’entrée, la TSA avait garanti qu’elle permettrait une échappatoire à ceux qui, pour des raisons religieuses, morales ou idéologiques refuseraient de se voir ainsi virtuellement déshabillés. Mais le tourment ne sera pas balayé pour autant: la procédure de «fouille renforcée» qu’elle vient de dévoiler pour s’occuper des récalcitrants comprend des tâtonnements persistants sur l’ensemble du corps, y compris sur les parties génitales. De quoi introduire le doute, même si la TSA s’en défend: et si cette procédure n’était en réalité qu’une mesure de rétorsion pour ceux qui refusent de se laisser «scanner» par une machine?

Le mouvement de rébellion avait encore besoin d’un héros et d’une devise. Il a trouvé l’un et l’autre: comme un Winkelried des temps modernes, John Tyner, un informaticien californien de 31 ans, s’est jeté dans les rangs des troupes ennemies armé de son seul téléphone portable qui lui a permis de filmer secrètement la scène. «Si tu touches à mes machins, je te fais arrêter», a-t-il lancé à l’agent de sécurité, le désarçonnant et l’obligeant à appeler son supérieur. John Tyner n’a pas pris l’avion et risque une amende de 10  000 dollars. Mais sa vidéo est devenue un «hit» sur Internet, consultée par plus de 650 000 personnes.

Devant l’ampleur du phénomène, la cheffe du Département de la sécurité intérieure, Janet Napolitano est venue à la rescousse de ces nouvelles mesures, essentielles disait-elle «pour s’adapter aux nouvelles menaces auxquelles nous faisons face». Ce qui n’a pas empêché des organisations de défense des droits des passagers d’appeler à une sorte de grève du zèle lors du week-end de Thanksgiving, l’un des pics de fréquentation des aéroports, demandant aux passagers de refuser le passage devant les machines, au risque de provoquer des retards considérables.

La polémique s’est encore aggravée lorsqu’un site consacré aux nouvelles technologies, Gizmodo, a réussi à se procurer des photos de passagers scannés aux aéroports. Une éventualité considérée impossible par la TSA qui met en avant le fait que ces images ne peuvent être ni reproduites, ni conservées ni envoyées. «Cette fuite de photos montre les limites de la confidentialité promise», note le site qui a obtenu ces images par un tribunal de Floride.

Dans l’immédiat, la TSA vient de faire un pas, en dispensant les pilotes de cette procédure à laquelle ils étaient soumis au même titre que les passagers. Face à un certain vent libertaire qui souffle actuellement sur les Etats-Unis, ce ne sera peut-être pas suffisant. Ron Paul, l’ancien candidat à la présidence qui continue d’incarner ce mouvement à 76 ans, appelait ses concitoyens à en finir avec la «soumission». «Ils nous donnent la sécurité, ils nous rendent sûrs, ils installent des barbelés, ils nous nourrissent et ensuite ils nous mangeront. Nous sommes un troupeau de moutons qui doit se réveiller et dire qu’il en a assez.»

Luis Lema