jeudi 30 septembre 2010

Narcoguerre

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L’héroïne afghane à bord des vols de soldats britanniques de retour du front. Les informations renforcent les soupçons sur les véritables intérêts économiques qui se cachent derrière la guerre en Afghanistan.

Diffusée lundi par la BBC, la nouvelle à propos des soldats britanniques et canadiens accusés de transporter de l’héroïne vers l’Europe en profitant du manque de contrôle sur les vols militaires revenant du front, ne fait que renforcer les soupçons sur les véritables intérêts économiques qui se cachent derrière la guerre en Afghanistan.

Le trafic "militaire" d’héroïne découvert dans les bases de l’OTAN au sud de l’Afghanistan (province du Helmand et de Kandahar) et la base aérienne de Brize Norton, Oxfordshire, sera liquidé par l’explication habituelle de "la pomme pourrie", un cas isolé qui ne concerne que quelques individus.

Il s’agit au contraire très probablement de la pointe de l’iceberg, ou mieux, des miettes d’un trafic de drogue bien plus vaste et structuré que ses promoteurs principaux – les militaires et les services secrets états-uniens – laissent à leurs alliés, évidemment beaucoup moins adroits qu’eux pour ne pas se faire prendre.

il y a quelques mois seulement, la presse allemande avait avancé que l’une des principales agences d’entrepreneurs privés en charge de la logistique des bases de l’OTAN en Afghanistan – Ecolog, soupçonné d’être en liens avec la mafia albanaise – était impliquée dans le trafic de l’héroïne afghane au Kosovo et en Allemagne.

L’an dernier, le New York Times a fait sensation en révélant que Walid Karzaï, le frère du président afghan et principal trafiquant de drogue dans la province de Kandahar, a été rétribué par la CIA des années durant .

"L’armée américaine n’empêche pas la production de drogue en Afghanistan, car elle leur rapporte au moins 50 milliards de dollars par an; il leur revient de transporter la drogue à l’étranger à bord de ses avions militaires; ce n’est pas un mystère", a déclaré en 2009 sur Russia Today le général russe Mahmut Gareev.

En 2008 déjà la presse russe, sur la base d’informations du Renseignement, non démenties par l’ambassadeur d’alors à Moscou puis à Kaboul, Zamir Kabulov, révélait que l’héroïne était transportée d’Afghanistan à bord de cargos militaires U.S. directement dans les bases de Ganci au Kirghizistan, et d’Inchirlik enTurquie.

Durant la même période, un article du journal britannique The Guardian rapportait des rumeurs croissantes sur la pratique de l’armée américaine en Afghanistan qui cachait de la drogue dans les cercueils des morts transportés par avion à l’étranger, emplis d’héroïne à la place des corps de soldats.

"Les expériences en Indochine et en Amérique centrale – pouvait-on encore lire en 2008 dans le Huffington Post américain – suggèrent que la CIA peut être impliquée dans le trafic de drogue afghane de façon plus importante que ce que l’on sait déjà. Dans les deux cas, les avions de la CIA transportaient la drogue à l’étranger pour le compte de leurs alliés locaux : il pourrait en être de même en Afghanistan. Lorsque l’histoire de la guerre sera écrite, la participation sordide de Washington dans le trafic de l’héroïne afghane sera l’un des chapitres des plus honteux."

En 2002, le journaliste americain Dave Gibson du Newsmax a cité une sources anonyme du Renseignement des États-Unis selon laquelle "la CIA a toujours été impliquée dans le trafic mondial de drogue, et qu’en Afghanistan, elle perpétue simplement son truc favori, comme elle l’a déjà fait durant la guerre du Vietnam. "

Selon l’historien américain Alfred McCoy, spécialiste de l’implication de la CIA dans le trafic de drogue sur toutes les scènes de guerre américaines de ces cinquante dernières années (jusqu’à la résistance anti-soviétique afghane des années 80), l’objectif principal de l’occupation américaine de l’Afghanistan a été le rétablissement de la production d’opium, interdite l’année précédente et de manière inattendue par le mollah Omar en quête d’une reconnaissance internationale.

Les faits et le bon sens semblent confirmer la thèse de McCoy : après l’invasion de 2001, la production et la vente de l’opium afghan (et de l’héroïne) ont repris à des niveaux jamais vus, pulvérisant en quelques années les records de la période taliban, tandis que les troupes américaines et l’OTAN ont toujours refusé de s’engager dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, maintenant leur soutien aux barons locaux de la drogue.

Reste une question fondamentale : pourquoi l’armée et le renseignement américains, en théorie dédiés à la sécurité nationale et internationale, aspirent-ils à contrôler le commerce de la drogue depuis des décennies ? Pour la vénalité de leurs dirigeants corrompus ? Pour garantir les caisses noires des opérations secrètes ? Ou peut-être y a-t-il derrière quelque chose de plus stratégique et systémique, qui, finalement, concerne réellement le maintien de la sécurité ?

Le Directeur général de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), Antonio Maria Costa, a implicitement répondu à cette question, indiquant que les fonds énormes tirés du blanchiment d’argent et le trafic de drogue sont la pierre angulaire qui garantit la survie du système économique américain et de l’Ouest en temps de crise.

"La majeure partie du produit du trafic de drogue, une somme d’argent impressionnante, est versée dans l’économie légale par le recyclage‘", a déclaré Maria Costa en janvier 2009. Ce qui veut dire introduire un capital d’investissement, des fonds qui terminent dans le secteur financier, qui se trouve sous pression évidente [ en raison de la crise financière mondiale, ndlr]."

"L’argent provenant actuellement du trafic de drogues est le seul capital d’investissement disponible," a poursuivi le directeur de l’UNODC." En 2008, la trésorerie a été le principal problème pour le système bancaire, puis le fonds de roulement est devenu un facteur important. Il semble que les crédits interbancaires ont été financés par l’argent provenant du trafic de drogue et autres activités illégales. Il est évidemment difficile de le prouver, mais il y a des indications selon lesquelles un certain nombre de banques ont été sauvées par ces moyens."

Enrico Piovesana