jeudi 30 septembre 2010

La narcoguerre de la CIA au secours des banques

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La vie politique en Afghanistan, le fonctionnement de l’Etat et la vigueur de l’insurrection taliban peuvent-ils être compris sans se pencher sur l’économie de l’opium dans ce pays ? L’ONU réunit à Paris plus de cinquante pays, jeudi 22 octobre et vendredi 23 octobre 2009, pour évoquer la dimension sans précédent prise par le trafic de cette drogue dont l’Afghanistan est le premier producteur mondial. Les Nations unies semblent désireuses de répondre clairement à cette question, qui met en cause la nature même du pouvoir à Kaboul, alors que la crise politique sur fond de conflit électoral n’est pas encore totalement dénouée.

L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (Undoc), avec le soutien du ministère des Affaires étrangères français, qui héberge cette conférence inscrite dans le cadre du pacte de Paris sur les routes de l’héroïne, signé, en 2003, lors d’un G8, estime aujourd’hui que l’Afghanistan produit tellement d’héroïne (370 tonnes en 2008) que le marché international ne peut même plus absorber sa production. Près de 12000 tonnes d’opium, extrait des feuilles de pavot (il faut sept kilos d’opium pour obtenir un kilo d’héroïne), seraient ainsi, en grande partie, stockées dans de discrets entrepôts situés sur la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan. Une autre partie serait conservée par les fermiers eux-mêmes. Pour une économie mondiale de l’héroïne chiffrée à 64 milliards de dollars (42,7 milliards d’euros) dans le rapport de l’Undoc, d’octobre 2009, l’Afghanistan ne retirerait que 3 milliards de dollars. Près de 2,3 milliards de dollars iraient aux trafiquants et seulement 700 millions de dollars seraient reversés aux fermiers afghans qui cultivent le pavot.Dans son rapport, l’ONU ne se contente pas de livrer une photographie de la production d’opium, elle dresse aussi un tableau édifiant de l’imbrication du trafic de drogue dans la société afghane. Selon l’Office contre la drogue de l’ONU, 60 % des députés sont liés à des personnes ayant un intérêt dans le trafic d’opium. Il peut s’agir de chefs de guerre, de trafiquants ou de personnes assurant leur protection. Les représentants de l’Etat afghan, encore embryonnaire, policiers, magistrats, gouverneurs, sont, selon l’ONU, souvent corrompus par les trafiquants pour faciliter le transport de la drogue et bloquer toute éradication.

L’ONU estime à 125 millions de dollars (83,4 millions d’euros) le montant des sommes prélevées sur ce trafic par les talibans sous forme de taxes ou de paiements d’une protection pour la culture ou le transport. Néanmoins, cette source de revenus ne constituerait, comme dans la province du Helmand, au sud du pays, fief des talibans et de la culture du pavot, que 15 % des besoins du mouvement taliban pour financer ses achats d’armes, la rétribution de ses combattants ou acheter différentes complicités. Selon les services anti-drogue américains (DEA) cités par l’Undoc, un kilo d’héroïne permet d’acheter quinze fusils AK47. "Le paradoxe, souligne Bernard Frahi, directeur adjoint de l’Undoc, c’est que ce sont les talibans qui ont obtenu les meilleurs résultats contre la drogue en parvenant, en 2001, à éradiquer quasiment la totalité de la culture de l’opium dans le pays. On aurait dû être plus réactifs et poursuivre leur travail dans ce domaine. Nous avons laissé reprendre la culture, considérant que cela était secondaire, alors que c’est aujourd’hui un problème central."

Le rapport de l’ONU souligne enfin les contradictions apparues au sein de l’OTAN en matière de lutte contre le trafic de drogue et dont les objectifs peuvent encore aujourd’hui s’opposer à ceux du combat contre le terrorisme. Ainsi, l’Undoc cite plusieurs affaires dans lesquelles la CIA, soucieuse de ménager ses sources parmi les trafiquants de drogue, a refusé de transmettre des informations à la DEA. Sollicité pour s’exprimer sur les ravages du trafic d’opium dans son pays, le président, Hamid Karzaï, use souvent d’une phrase qu’il affectionne, "nous recevons 100 % des blâmes, mais seulement 2 % des revenus de cette activité".

Jacques FOLLOROU