Le président français a achevé vendredi une quatrième visite d’Etat en Chine où il a fait chou blanc puisque son homologue chinois Xi Jinping a poliment décliné ses deux principales demandes : faire pression pour que la Russie mette fin à la guerre en Ukraine et donner des garanties pour permettre à la France de combler son déficit commercial abyssal avec ce pays.
Le constat est simple : les « relations stratégiques » qui, pour le chef de l’Etat français, devaient servir de cadre aux échanges entre la Chine et la France n’ont en réalité rien de stratégiques car les déclarations convenues de son hôte chinois ont rapidement montré les limites de l’exercice au cours de cette visite de moins de trois jours : la réponse est non aux principales demandes françaises.
Xi Jinping a même publiquement sermonné Emmanuel Macron lorsqu’il l’a exhorté à « se tenir du bon côté de l’Histoire, » formule que le maître de la Chine communiste affectionne lorsqu’il entend rappeler ses interlocuteurs au sens des réalités : la Chine d’aujourd’hui est puissante et n’entend plus se laisser donner des leçons par quiconque sur la scène internationale.
C’est ainsi que le président français n’a rien obtenu lorsque, une fois de plus, il a exhorté la Chine à œuvrer pour que Moscou accepte au moins un cessez-le-feu en Ukraine. Lors d’une apparition commune devant les médias, Emmanuel Macron a dit avoir « longuement évoqué » avec son homologue le conflit en Ukraine, « menace vitale pour la sécurité européenne. » « J’espère que la Chine pourra se joindre à notre appel et à nos efforts pour parvenir dans les meilleurs délais à tout le moins à un cessez-le-feu, » a-t-il dit.
La réponse de Xi Jinping en deux temps a été inhabituellement sèche. « La Chine soutient tous les efforts pour la paix [et] continuera à jouer un rôle constructif pour une solution à la crise ukrainienne, » a-t-il dit, reprenant des termes convenus régulièrement tenus par Pékin. « En même temps, elle s’oppose fermement à toute tentative irresponsable visant à rejeter la faute ou à diffamer quiconque, » a-t-il ajouté alors que Macron n’avait publiquement formulé aucun grief.
Le ton surprenant de cette dernière phrase renvoie le président français dans les cordes et ne laisse aucune équivoque sur les intentions de la Chine : inutile d’insister car il n’est pas question pour Pékin d’user de ses liens privilégiés avec Moscou pour hâter la fin de la guerre en Ukraine.
Pas question pour la Chine d’intervenir pour raisonner la Russie en Ukraine
La Chine n’a jamais condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Partenaire économique et politique primordial de la Russie, elle est le premier pays acheteur de combustibles fossiles russes au monde, y compris de produits pétroliers, alimentant ainsi la machine de guerre russe en Ukraine. Des experts européens et américains l’accusent en outre de fournir des composants militaires à Moscou, ce que dément Pékin.
« Aujourd’hui, l’intérêt de la Chine est de soutenir la Russie. Par conséquent, elle n’est pas neutre, » estime ainsi le sinologue Jean-Pierre Cabestan. Si dans le passé la Russie a livré des armes à la Chine, « la situation est aujourd’hui inversée puisque c’est plutôt la Chine qui, dans ce domaine, aide la Russie en fournissant des technologies duales, des drones et des semiconducteurs qui sont utilisés dans les armements russes dont l’armée fait usage en Ukraine. Cette coopération continuera sur le long terme. Ce partenariat va rester étroit, » explique-t-il dans une interview à Asia Magazine, partenaire d’Asialyst.
De fait, la Chine trouve des intérêts majeurs à la poursuite de la guerre en Ukraine sur les plans économiques, stratégiques et politiques. Xi Jinping et Vladimir Poutine partagent une profonde détestation de l’Occident tandis que la Chine importe à des prix cassés des hydrocarbures et autres matières premières de Russie tout en profitant de la faiblesse de la Russie pour étendre son influence en Asie centrale et d’autres régions jusque-là dans le giron russe.
Pour la Russie, cette alliance de facto avec la Chine lui donne les moyens économiques, financiers et même militaires de poursuivre sa guerre contre l’Ukraine tout en évitant d’être isolée sur la scène internationale. Pékin et Moscou ont, ces dernières années, multiplié leurs exercices militaires conjoints, y compris en Asie de l’Est.
Les limites des relations « stratégiques » Paris-Pékin
Une illustration qui semble confirmer l’étendue de la coopération militaire sino-russe en Ukraine a été la présence, au moment d’une frappe massive de missiles et de drones russes à travers l’ouest de l’Ukraine dans la nuit du 5 au 6 octobre, d’au moins trois satellites de reconnaissance chinois qui ont survolé les régions les plus touchées par l’attaque, selon le média ukrainien Militarnyi, citant des données du service de surveillance Heavens Above dont le siège est à Munich.
Militarnyi a déclaré que les satellites de la série Yaogan 33 ont effectué au total neuf passages au-dessus de la région de Lviv entre minuit et 11h30. Un satellite de reconnaissance optique, Yaogan 34, a ensuite été observé rejoignant ces survols. Selon le rapport, plus de 60 satellites Yaogan de différents types sont capables d’opérer au-dessus de l’Ukraine. Effectuant des orbites basses à quelque 700 kilomètres d’altitude, ils peuvent mener des missions de reconnaissance optique, radar et électronique.
Les services de renseignement ukrainiens ont signalé des cas dans lesquels, selon eux, des données satellitaires chinoises ont été transmises à la Russie et utilisées pour planifier des frappes de missiles à l’intérieur de l’Ukraine, notamment contre des installations appartenant à des investisseurs étrangers. Oleg Aleksandrov, un responsable du service, a déclaré à l’agence de presse ukrainienne Ukrinform : « Il existe des preuves d’une coopération de haut niveau entre la Russie et la Chine dans la conduite de la reconnaissance par satellite du territoire ukrainien afin d’identifier et de repérer des cibles stratégiques pour des frappes. Comme nous l’avons vu ces derniers mois, ces cibles peuvent appartenir à des investisseurs étrangers. »
Pour le Parti communiste chinois, les dates choisies dans le calendrier ne sont que rarement le fait du hasard. Ainsi, comme une sorte de pied-de-nez à la visite d’Emmanuel Macron en Chine, son arrivée mercredi 3 décembre à Pékin a coïncidé avec celle à Paris d’une délégation d’officiels chinois avec pour mission d’expliquer les bienfaits supposés de la politique chinoise au Xinjiang, l’ancien Turkestan oriental annexé militairement par la Chine en 1950 et rebaptisé Xinjiang.
Cette délégation où ne figure qu’une Kazakhe turcique, l’une des minorités ethniques du Xinjiang, à la tête du Bureau d’information du Xinjiang (un relais de la propagande officielle du régime) a notamment été reçue par l’Académie géopolitique de Paris, un think tank de moindre influence, « pour une opération de normalisation du génocide ouïghour, » a expliqué Dilnur Reyhan, une militante d’origine ouïghoure naturalisée française et présidente de l’Institut ouïghour d’Europe.
Le 20 janvier 2022, sur la base des travaux faits par cet Institut, l’Assemblée nationale a voté une résolution reconnaissant le caractère génocidaire des « persécutions systémiques » de la Chine contre les Ouïghours. Jusqu’à un million de Ouïghours auraient été internés dans des camps de travail ou de détention dance région, selon les conclusions de nombreux experts internationaux et associations de défense des droits humains.
La Chine a dépêché une délégation similaire en France en 2024 pour y présenter le narratif officiel concernant le Tibet, autrefois indépendant et envahi en 1950 par l’Armée populaire de libération. Plusieurs collectifs tibétains de France ont fait parvenir des courriers à l’Elysée pour demander au président français d’évoquer les sévices dont sont victimes les Tibétains depuis cette date au cours de sa visite.
Une visite dans un contexte de relations glaciales entre la Chine et l’UE
De fait, cette visite s’inscrit dans un climat glacial entre la Chine et l’Union européenne. Un sommet sino-européen en juillet dernier avait été l’occasion pour les deux parties de présenter leurs griefs. Au terme de ce sommet, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait déclaré à Xi Jinping que les relations entre l’UE et la Chine avaient atteint un « point d’inflexion. » Elle avait précédemment qualifié la Chine de « rival systémique. »
« À mesure que notre coopération s’est approfondie, les déséquilibres se sont accentués, » avait-elle déclaré, faisant référence à l’énorme déficit commercial de l’Union européenne avec la Chine. Elle a également averti que les liens entre la Chine et la Russie constituaient désormais le « facteur déterminant » dans ses relations avec l’UE. Le déficit commercial de l’UE avec la Chine atteint le chiffre colossal de 306 milliards de dollars en 2024. Il a quadruplé en volume et doublé en valeur depuis 2015.
Le président français a voulu plaider pour un rééquilibrage du déficit commercial français lui aussi béant avec la Chine qui a également doublé en dix ans et totalisait 47 milliards d’euros en 2024. Ce déficit « n’est pas tenable » et crée des « risques de crise financière, » a-t-il déclaré devant son hôte chinois qui, nullement troublé, arborait comme à son habitude son sourire figé se voulant bienveillant.
Mais dans ce registre également, les résultats ont été particulièrement maigres. Aucun accord commercial majeur n’a été signé et aucune mention n’a été faite d’un ensemble de commandes totalisant 500 avions Airbus dont le groupe européen discute avec Pékin depuis des mois et qui est souvent lié aux visites diplomatiques. Il est vrai qu’une commande massive d’avions Airbus pourrait gêner le pouvoir de négociation de Pékin dans le cadre des négociations commerciales avec les États-Unis qui font pression pour obtenir de nouveaux engagements d’achat d’avions Boeing.
Les dirigeants d’Airbus, de la plus grande banque française BNP Paribas, du géant de l’électricité Schneider, de Danone et du constructeur ferroviaire Alstom, ainsi que les dirigeants des groupes industriels français des secteurs laitier et avicole accompagnaient le président Macron. Au total, 35 chefs d’entreprises français avaient fait le voyage. Pour très peu de résultats : quelques accords cadre dans les secteurs du nucléaire civil, l’aéronautique, la santé mais sans aucun chiffre sur les éventuels investissements à venir, bien loin donc des « investissements croisés » préconisés par le président français pour rééquilibrer la relation commerciale.
Le fait est que cette visite a eu lieu dans un contexte différent de celui qui prévalait lors de la dernière visite d’ Emmanuel Macron en avril 2023. Outre la Russie qui s’est encore davantage rapprochée de la Chine, l’ombre des Etats-Unis était bien présente aussi car la posture d’accommodement – sinon même de complicité selon certains critiques – du président américain Donald Trump avec Vladimir Poutine a, de fait, radicalement changé la donne pour Pékin.
En effet, la politique de l’administration Trump envers la Russie a pour conséquence de considérablement fragiliser l’Europe qui, dès lors, n’apparaît plus comme le contrepoids potentiel aux Etats-Unis que la Chine voyait en elle. Son utilité géostratégique pour Pékin en est amoindrie. Ceci quand bien même le marché européen de 420 millions d’habitants demeure l’un des plus grands du monde et reste, à ce titre, important pour l’économie chinoise qui traverse ces dernières années des difficultés inédites.
Enfin, empêtré dans une crise politique majeure en France et arrivé presque au terme de son deuxième et dernier mandat avec une image passablement ternie, Emmanuel Macron en est d’autant diminué aux yeux de la direction communiste chinoise.
Cette bien piètre image de l’Europe en Chine
La sinologue Camille Brugier a examiné les commentaires de six analystes chinois publiés dans le quotidien chinois The Paper (澎湃新闻) pour qui si elle veut redevenir un partenaire crédible de la Chine, l’UE doit arrêter de soulever à chaque rencontre « sa » guerre avec la Russie car sur ce dossier les intérêts de la Chine et l’UE sont « irréconciliables. »
L’autre jugement conjoint de ces six experts chinois non identifiés est que l’UE doit « sortir d’une réaction émotionnelle » à la Chine qu’elle perçoit à tort comme une menace, redevenir « un partenaire stratégique et fiable de la Chine. » Elle doit accepter le fait que, ce pays étant une plus grande puissance que l’UE, il joue le même jeu que la puissance américaine et, enfin, retrouver un lien de « partenaire de la Chine dans la gouvernance mondiale, » une allusion au vide laissé par le retrait des Etats-Unis de nombreuses institutions internationales qui devrait, selon ces experts, être comblé ensemble par Pékin et Bruxelles.
« Voilà les éléments qui en ressortent – ça en dit long sur comment nous sommes perçus » par la Chine, ajoute cette sinologue, sinophone, docteure en science politique et experte des questions de sécurité liées à la montée en puissance de la Chine, dans une étude publiée sur LinkedIn.
Décomplexée, s’estimant plus puissante et peut-être bientôt toute-puissante, la Chine a le sentiment que le temps joue en sa faveur. De ce fait, plus que jamais elle use d’un rapport de force avec la France et, derrière elle, le reste de l’Europe. Ainsi, connaissant bien les faiblesses de l’industrie française et européenne, Xi Jinping et son équipe font pression pour la levée des barrières douanières érigées ou en préparation contre le raz-de-marée des voitures électriques chinoises et des autres marchandises provenant d’usines souvent subventionnées par l’Etat, tout ceci en échange d’un adoucissement des tarifs chinois visant le cognac ou certains produits agricoles.
Le rapport de force Chine/Europe s’est inversé au profit de Pékin
« Il y a une volonté de Bruxelles de mieux s’armer juridiquement face aux mesures de rétorsion chinoises, par exemple sur l’approvisionnement en terres rares. Mais les Chinois sont aujourd’hui en position de force dans presque tous les domaines. Une réponse globale et uniforme est vouée à l’échec, tant les rapports de forces sont asymétriques, » souligne jeudi 4 décembre le sinologue Emmanuel Lincot dans les colonnes du Figaro. « Pour la Chine, la France apparaît aujourd’hui comme un pays ‘’has been’’, » ajoute-t-il.
« On pourrait aussi espérer obtenir enfin une réciprocité sur les transferts de technologie : après quarante ans où la Chine a largement bénéficié des nôtres, un juste retournement serait bienvenu. Mais les Chinois, en position de force, n’ont aucune raison objective de le faire, » ajoute encore Emmanuel Lincot.
Emmanuel Macron sera bientôt suivi à Pékin par le Premier ministre britannique Keir Starmer et peut-être ensuite par le chancelier allemand Friedrich Merz. Or, dans les deux cas, ce ne sont pas les contentieux qui manquent.
A Londres le projet de construction d’une gigantesque nouvelle super-ambassade de Chine a suscité une levée de boucliers des riverains et des inquiétudes sur la « surveillance » et l’espionnage massif que pourrait favoriser le bâtiment, tout proche du centre économique et financier de la City.
Quant à l’Allemagne, fin octobre le ministre des Affaires étrangères, Johann Wadephul, avait annulé un déplacement à Pékin deux jours avant son départ faute de pouvoir rencontrer des interlocuteurs de haut rang en dehors de son homologue des Affaires étrangères. Simple coïncidence ? Cet été, le ministre chrétien-démocrate avait dénoncé l’« attitude de plus en plus agressive » de la Chine dans le détroit de Taïwan et son soutien à Moscou dans le conflit ukrainien. Des propos qui sont mal passés à Pékin.
Restant la seconde puissance économique du monde, quels que soient les différends commerciaux ou politiques, Pékin continuera d’être ardemment courtisé par l’Europe et ses dirigeants savent qu’ils ont désormais de nombreuses cartes en main pour dicter les conditions des prochaines visites, la Chine demeurant un partenaire obligé.
S’agissant de la visite d’Emmanuel Macron, lorsque son épouse Brigitte visitait à Pékin un musée en compagnie de la femme de Xi Jinping, savait-elle que Peng Liyuan (彭丽媛), ex-chanteuse vedette et gradée de l’Armée populaire de libération, s’était rendue sur la place Tiananmen quelques jours seulement après le massacre du 4 juin 1989 de centaines sinon des milliers de jeunes manifestants pour y chanter des chansons à la gloire des militaires qui avaient tiré sur la foule ? La photo de cet épisode est aujourd’hui censurée en Chine.
Pour autant, cette visite d’Etat s’est terminée sur une note positive avec l’annonce d’au moins un succès probant : Pékin enverra de nouveaux pandas géants en France début 2027 « au plus tard, » selon le directeur du zoo de Beauval, Rodolphe Delord, qui accompagnait dans sa dernière étape en Chine le chef de l’État à Chengdu, capitale du Sichuan, terre d’élection de ces ursidés. Annonce qui intervient quelques jours seulement après le départ des deux pandas géants Huan Huan et Yuan Zi qui étaient en France depuis 13 ans et dont le rapatriement, initialement prévu pour 2027, avait été anticipé en raison d’une insuffisance rénale dont souffre Huan Huan, la femelle. La relève est assurée et nous voilà rassurés !
Pierre-Antoine Donnet