Tant attendu, le sommet du 30 octobre entre Xi Jinping et Donald Trump, le premier entre les présidents des deux superpuissances de la planète depuis 2019, a accouché d’une souris avec l’annonce d’une simple trêve. Mais c’est la Chine qui en sort gagnante, n’ayant rien cédé sur le fond à son grand rival américain sur le dossier explosif des terres rares.
Comme il en a l’habitude, Donald Trump était triomphant au sortir des cent minutes qu’a duré cette rencontre entre les deux hommes et leurs délégations : « Ce fut une rencontre extraordinaire, » a-t-il déclaré aux journalistes à bord d’Air Force One alors qu’il rentrait à Washington jeudi après avoir assisté au sommet de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC) en Corée du Sud. « Sur une échelle de 0 à 10, 10 étant la meilleure note, cette rencontre mérite un 12. »
Le 47e président des États-Unis a expliqué qu’il s’était mis d’accord avec son homologue chinois sur un « ensemble de décisions exceptionnelles » et que les États-Unis et la Chine signeraient « très bientôt » un accord commercial. Cet accord, selon plusieurs médias américains, pourrait être signé dès la semaine prochaine.
Mais l’erreur serait de confondre la forme et le fond. Car si Washington a obtenu un report d’un an de la mise en œuvre de la décision de Pékin d’imposer un contrôle strict de l’usage des terres rares produites sur le sol de la Chine, celle-ci demeure maître des horloges puisqu’elle peut, comme bon lui semble, soit l’annuler avant terme, soit y mettre fin dans un an car, dans les faits, les autorités chinoises ne l’ont pas enterrée.
L’épée de Damoclès de la Chine reste donc bien présente : elle continuera d’user de ce levier politique considérable qui est de menacer l’approvisionnement en terres rares à travers le globe dont l’utilisation est au cœur de tous les secteurs de la Tech, qu’elle soit à usage civil ou militaire. Elle avait annoncé le 9 octobre son intention d’imposer un contrôle approfondi sur les exportations des terres rares, sachant que la Chine extrait 69 % des minéraux de terres rares, traite 88 % des concentrés de terres rares et raffine 90 % des métaux de terres rares dans le monde.
Ces terres rares et minéraux sont devenus une absolue nécessité pour la fabrication d’une très large panoplie de produits allant de ceux utilisés au quotidien jusqu’aux hautes technologies militaires, que ce soient les smartphones, les ordinateurs, les automobiles ou les missiles intercontinentaux à capacités nucléaires (ICBM).
Avec les terres rares, Pékin conserve un levier politique majeur
Le contrôle de la Chine sur les terres rares est d’autant plus stratégique que ces règles aujourd’hui temporairement suspendues introduisent aussi la notion d’extraterritorialité – mesure inédite pour Pékin mais souvent utilisée par les États-Unis – la Chine s’arrogeant la possibilité d’interdire des exportations par des pays étrangers de produits contenant plus de 0,1% de ces fameux métaux et terres rares d’origine chinoise.
Les États-Unis ont souvent eu recours à cette notion, bannissant par exemple les ventes en Occident de smartphones de la marque chinoise Huawei contenant des puces d’origine américaine. Pékin ne fait donc que répliquer à son profit une méthode américaine.
En retour, Pékin a obtenu de Washington de mettre fin pendant un an aux taxes imposés depuis peu aux industries maritimes, logistiques et navales chinoises dans les ports américains et une baisse des tarifs douaniers des marchandises chinoises importées par les États-Unis qui, selon les calculs des experts et observateurs de la Chine, devraient désormais s’établir à 47% contre des menaces de les porter à plus de 100%.
Un sommet qui a accouché d’une souris
Il reste cependant que ce sommet n’aura produit que peu de résultats tangibles, le fond de la rivalité entre les États-Unis et la Chine demeurant inchangé : le premier pays entend rester le numéro un mondial, un statut que le second entend bien lui ravir dans un avenir proche. Cette rivalité reste intacte car l’un comme l’autre non seulement ne se font aucunement confiance mais campent sur leurs positions.
« L’atmosphère qui règne actuellement à Pékin révèle que la relation la plus importante au monde est devenue plus amère et hostile que jamais […] Chaque partie suit sa propre logique inexorable, » commente The Economist jeudi 30 octobre.
« Les États-Unis ont adopté une politique d’endiguement, bien qu’ils refusent d’utiliser ce terme. Ils voient une Chine autoritaire passée d’un régime à parti unique à un régime à homme unique. Le président Xi Jinping devrait rester au pouvoir pendant des années et est hostile à l’Occident, qu’il considère comme en déclin, » ajoute l’hebdomadaire.
A Pékin, l’atmosphère n’est guère meilleure. « Dans les couloirs du gouvernement [chinois], les responsables du Parti communiste dénoncent ce qu’ils considèrent comme des intimidations de la part des États-Unis. Ils affirment que ceux-ci ont l’intention de battre la Chine à mort. Les diplomates occidentaux décrivent une atmosphère empreinte d’intimidation et de paranoïa, » ajoute The Economist pour qui « [la] seule chose sur laquelle les deux parties s’accordent, c’est que le meilleur scénario est celui de plusieurs décennies de brouille, et que le pire, celui d’une guerre, est de plus en plus probable. »
Mais rien de cela n’a bien sûr transparu dans les déclarations officielles. Donald Trump a encore expliqué que Xi Jinping s’était engagé à « travailler très dur » pour endiguer les exportations des éléments précurseurs utilisés par les narcotrafiquants pour produire et exporter le fentanyl vers les États-Unis. Drogue de synthèse, cet opioïde bon marché cause la mort de dizaines de milliers d’Américains chaque année.
Il a ajouté que les discussions avaient également abordé la question des semiconducteurs et que le géant Nvidia discuterait avec la Chine de l’exportation de puces, mais il a précisé que ces discussions ne portaient pas sur les systèmes les plus avancés. Jeudi, la capitalisation boursière de Nvidia, la première au monde, atteignait le niveau record de 5 000 milliards de dollars.
Le président a annoncé qu’il se rendrait en Chine en avril et que Xi Jinping effectuerait ensuite une visite réciproque aux États-Unis.
Face au triomphalisme américain, le sens de la mesure chinois
Le ton était nettement plus mesuré côté chinois. Certes, le président chinois ne s’est pas privé de flatter son homologue américain. « J’ai toujours pensé que le développement de la Chine devait aller de pair avec votre vision de rendre à l’Amérique sa grandeur, » a expliqué Xi Jinping qui, lui-même, ambitionne aussi de « rendre sa grandeur à la Chine. »
Le ministère chinois du Commerce a confirmé la suspension pour un an de la mise en œuvre des contrôles sur les terres rares tandis que les États-Unis suspendent également pour un an leurs propres contrôles à l’exportation liés à la technologie aux filiales des entreprises chinoises, annoncés à la fin du mois dernier. Il a ajouté que la Chine avait accepté « de travailler avec les États-Unis pour résoudre de manière appropriée les questions liées à TikTok, » une autre pierre d’achoppement entre Pékin et Washington.
Cité par le Quotidien du Peuple, l’organe du Parti communiste chinois, Xi Jinping s’est borné à indiquer que « les deux parties doivent affiner et finaliser le travail de suivi dès que possible, respecter et mettre en œuvre le consensus, et obtenir des résultats tangibles. »
Si Pékin s’est également engagé à renouer avec ses achats de soja américain, la seule véritable surprise de ce sommet est que, selon le président américain, « La question de Taïwan n’a jamais été abordée [et n’a donc] pas été discutée. »
La crainte à Taïwan parfois exprimée en privé est que l’île fasse les frais d’un « deal » commercial entre les États-Unis et la Chine, Donald Trump pouvant accepter d’abandonner l’idée de défendre l’île face au géant chinois en échange de conditions commerciales accordées par Pékin.
Le secrétaire d’État américain Marco Rubio a néanmoins récemment publiquement rejeté cette idée. Le 27 octobre, il avait déclaré à l’agence Reuters que personne à Washington n’imaginait qu’un accord commercial aurait pour conséquence que les États-Unis « s’éloigneraient de Taïwan. » Lundi, Donald Trump a éludé une question d’un journaliste sur le fait que ce sujet serait ou non abordé lors de sa rencontre avec le président chinois, se bornant à répondre : « Taïwan est Taïwan. »
Cité par l’agence officielle taïwanaise CNA, le ministre des Affaires étrangère de Taïwan, Lin Chia-lung (林佳龍), s’est de son côté voulu rassurant, affirmant qu’il n’était pas inquiet sur le fait que Donald Trump pourrait être amené à « abandonner » Taïwan. « Nos relations sont très stables, » a-t-il dit.
Au début de leur rencontre dans la ville de Busan, voisine de celle Gyeongju, au sud-est de la Corée du Sud où s’est déroulé le sommet de l’APEC, Donald Trump a salué Xi comme un « grand dirigeant d’un grand pays, » avant d’ajouter qu’il entretenait avec son homologue chinois « une relation fantastique depuis longtemps. »
Les images vidéo de la salle de conférence montraient Donald Trump entouré de ses principaux responsables, dont Marco Rubio, le secrétaire au Trésor Scott Bessent et le secrétaire au Commerce Howard Lutnick, tandis que Xi Jinping était accompagné de Cai Qi, membre de la toute-puissante commission permanente du Bureau politique du PCC, du ministre des Affaires étrangères Wang Yi et du vice-Premier ministre He Lifeng.
Assis en face de lui, Xi Jinping a déclaré qu’il était naturel que les États-Unis et la Chine « ne soient pas toujours d’accord » et ajouté qu’il était « normal que les deux principales économies mondiales aient des frictions de temps à autre. » Les deux superpuissances « doivent être amies, » car c’est « ce qu’exige la réalité. »
Un butin bien maigre pour les États-Unis
Mais, de l’avis général des commentateurs, le butin de ce sommet est bien maigre pour les États-Unis, considérant les menaces formulées par Donald Trump qui, il y a quelques jours encore, brandissait celles de taxes de 100% sur les importations chinoises. « Franchement, les États-Unis ne semblent pas avoir obtenu grand-chose, » estime ainsi Alicia Garcia-Herrero, économiste en chef pour la région Asie-Pacifique chez Natixis, citée jeudi par le quotidien japonais Nikkei Asia.
« Nous ne voyons pas de réduction significative des risques géopolitiques à long terme. Nous pensons que la probabilité d’un découplage plus poussé est plus forte que le contraire. Les États-Unis ont clairement affiché leur préférence pour une politique donnant la priorité à l’Amérique, tandis que la Chine privilégie l’autosuffisance dans les industries clés, » souligne de son côté Lorraine Tan, directrice de la recherche sur les actions chez Morningstar, cité par le même média.
Pour Julian Evans-Pritchard, expert de l’économie chinoise chez Capital Economics, « la désescalade [entre Pékin et Washington] élimine la menace immédiate d’une forte hausse des droits de douane [mais] les forces sous-jacentes qui divisent les États-Unis et la Chine restent sans solution et les tensions pourraient donc facilement resurgir [car] même si la trêve actuelle tient, les deux parties poursuivront leurs efforts de découplage à plus grande échelle. »
« Ce sommet ne peut apporter qu’une détente tactique plutôt qu’une réinitialisation stratégique des relations entre les États-Unis et la Chine, » estime Zhao Minghao, professeur à l’Institut d’études internationales de l’université Fudan à Shanghai, cité par le Financial Times.
Si, à l’échelle mondiale, les États-Unis restent sans égaux sur de nombreux fronts du fait de leur contrôle sur les « technologies fondamentales » telles que les puces électroniques, leur gigantesque marché de consommation et leurs réseaux d’alliances, relève Han Shen Lin, directeur national pour la Chine du cabinet de conseil américain The Asia Group, la Chine « joue le long terme. »
« Si les États-Unis peuvent dicter le rythme et la pression du conflit à court terme, la Chine se prépare à une lutte prolongée, » estime-t-il. « Il s’agit moins de savoir qui a « l’avantage » aujourd’hui, mais plutôt qui est le mieux placé pour une confrontation à long terme, » relève encore cet analyste.
La BBC a pour son part souligné qu’à la différence de « l’optimisme grandiloquent » manifesté par Donald Trump, « la Chine s’est montrée moins enthousiaste [puisque] la déclaration de Pékin ressemble [davantage] à un mode d’emploi » pour permettre aux deux rivaux de s’accorder sur la marche à suivre dans les mois prochains.
« Trump souhaite conclure un accord « très rapidement », tandis que Pékin semble vouloir poursuivre les discussions, car il joue la carte du long terme, » explique la BBC pour qui « il ne s’agit que d’une trêve temporaire [qui] ne résout pas les divergences au cœur d’une relation aussi compétitive » que celle qui existe entre Pékin et Washington depuis maintenant plusieurs décennies.
« Les États-Unis et la Chine prennent des directions différentes, » explique Kelly Ann Shaw, l’ancienne conseillère économique de Donald Trump lors de son premier mandat, citée par la BBC. « Il s’agit en réalité de gérer la rupture de manière à limiter les dégâts, à préserver les intérêts américains et, je pense, du point de vue de la Chine, à préserver ses propres intérêts. Mais ce n’est pas une relation qui va nécessairement s’améliorer de manière spectaculaire dans un avenir proche, » a-t-elle ajouté.
« Le principe fondamental de la Chine est de lutter, mais sans céder », explique Keyu Jin, professeure d’économie à la London School of Economics et autrice de The New China Playbook : Beyond Socialism and Capitalism(Penguin Publishing Group), un essai publié en 2024 devenu une référence sur la Chine. « Et elle a opté pour l’escalade afin de désamorcer la situation, ce qui est une tactique très nouvelle, » relève cette experte de la Chine.
« Si les États-Unis pensent qu’ils peuvent dominer la Chine, qu’ils peuvent la réprimer, je pense qu’ils se trompent, » déclare encore Keyu Jin. « Cela montre clairement au monde entier, et en particulier aux États-Unis, que la Chine doit être respectée, qu’elle ne s’incline pas et ne fait pas trop de concessions politiques ou économiques. »
Comment Pékin avait soigneusement préparé son jeu
Il s’avère que Pékin avait soigneusement préparé cette rencontre au sommet où le président américain n’avait, en réalité, que peu de cartes en mains, jugent certains analystes.
Pour preuve, avec l’annonce antérieure au sommet de contrôles renforcés sur les terres rares, la Chine avait frappé Donald Trump là où ça fait mal. « La nuance qui est souvent négligée dans le débat sur les terres rares est que la Chine occupe une position dominante sur la partie la plus stratégique de la chaîne d’approvisionnement en terres rares : les terres rares lourdes utilisées dans les systèmes de défense avancés, » explique Jason Bedford, expert en macroéconomie et analyste en investissement, cité par la BBC.
Obtenir de la Chine qu’elle assouplisse ses contrôles à l’exportation était donc devenu une priorité pour Washington, ce dossier devenant du même coup un levier important pour Xi Jinping lorsqu’il s’est assis à la table des négociations face à Donald Trump.
Un autre levier politique a été pour la Chine d’interrompre ses achats de soja américain, une mesure parfaitement ciblée puisqu’elle frappait de plein fouet les agriculteurs des États républicains, la base électorale de Trump. Dès jeudi, semble-t-il, Pékin avait recommencé à acheter du soja américain.
L’un des enseignements de ce sommet est donc de constater que la posture de la Chine face aux États-Unis a profondément changé entre le mandat de Trump 1.0 (2017-2021) et celui entamé en janvier de Trump 2.0 : à la volonté de négocier qui était celle du vice-Premier ministre de l’époque Li He (刘鹤) a succédé celle de la fermeté d’une Chine désormais décomplexée face au colosse américain aujourd’hui en perte de vitesse du fait des incohérences répétées de son président.
L’autre enseignement est que lorsque les États-Unis de Donald Trump visent des « deals » de court terme souvent contre-productifs, la Chine, plus résiliente que l’Amérique, parie sur le long terme. De cette relation plus asymétrique que jamais, il ressort clairement qu’au-delà de la trêve conclue à Busan, elle restera explosive pour les années à venir, la balance penchant progressivement en faveur de Pékin.
Pierre-Antoine Donnet