mercredi 12 novembre 2025

Les relations Chine-Brésil : un modèle pour le Sud global ?

 

Les relations entre la Chine et le Brésil sont au beau fixe, avec la volonté d’un front commun face au nouvel « impérialisme américain » incarné par Donald Trump. Pour autant ces relations, présentées comme un modèle pour le monde en développement, restent profondément asymétriques et suscitent des interrogations persistantes à Brasilia.

« Nos liens sont à leur meilleur moment dans l’histoire. La Chine est prête à travailler avec le Brésil pour donner un exemple d’unité et d’autonomie parmi les principaux pays du Sud global, pour construire ensemble un monde plus juste et une planète plus durable. » C’est en ces termes que l’agence de presse officielle chinoise Xinhua rapportait la dernière conversation téléphonique entre Xi Jinping et son homologue brésilien Luiz Inácio Lula da Silva le 8 août dernier.

Donald Trump a largement contribué au rapprochement politique entre les deux pays, qui subissent (avec l’Inde) les barrières douanières les plus élevées au monde pour l’entrée de leurs produits sur le marché américain. Une situation perçue comme d’autant plus injuste au Brésil (avec des droits de douanes fixés par Washington à 50%) que le pays entretenait déjà un déficit commercial avec les États-Unis avant l’imposition de ces mesures, qui ont essentiellement une justification politique.

La dynamique déjà ancienne des relations économiques sino-brésiliennes

Si la relation politique entre les deux pays a pris un nouvel élan avec l’aide de Donald Trump, la relation économique est pour sa part en progression constante sur les vingt dernières années. La Chine est le premier partenaire commercial du Brésil dès 2009, au coude à coude avec l’Union européenne à l’époque. Son poids dans le commerce extérieur du Brésil s’accentue à partir de 2016 et dépasse le seuil de 25% à partir de 2020, pour se situer au-dessus de 26% en 2024, très nettement devant l’Union européenne (16%) et les États-Unis (13,7%).


Source : International Trade Center. Calculs de l’auteur


Le Brésil dégage des excédents commerciaux structurels avec la Chine – avec des exportations bilatérales qui représentent 1,5 fois le niveau des importations en 2024 -, alors que les échanges du pays sont à peu près à l’équilibre avec l’Union européenne et légèrement déficitaires avec les États-Unis en 2024, avant le coup de massue tarifaire imposé par Trump.

Concernant les investissements étrangers, la Chine est un acteur relativement récent, avec une présence qui s’est affirmée au cours des 25 dernières années. Historiquement ce sont les Européens et les Nord-Américains qui détenaient les actifs étrangers les plus importants au Brésil, avec respectivement 61% et 23% du stock d’investissements étrangers dans le pays fin 2024, la Chine se situant autour de 6-7%.
Mais la montée en puissance des investissements chinois est aujourd’hui très visible. Elle s’est faite en plusieurs vagues. En 2010-2011 dans le secteur pétrolier et minier, entre 2015 et 2017 dans la transmission électrique – la « State Grid » chinoise possède 14 000 km de lignes électriques au Brésil – et dans l’énergie hydraulique, plus récemment dans l’énergie solaire et le secteur des véhicules électriques, sans oublier les télécom avec le choix de Huawei pour installer la 5G au Brésil. 

Globalement le Brésil représente aujourd’hui la moitié des investissements chinois en Amérique Latine.
La question de l’asymétrie

Le rapprochement économique a cependant une importance inégale pour les deux pays. La Chine peut se passer du Brésil beaucoup plus facilement que le Brésil ne peut le faire à l’égard de la Chine. Si celle-ci est depuis plus de dix ans le premier partenaire commercial du Brésil, le marché brésilien n’est que la dix-septième destination des exportations chinoises (soit à peine 2% du total des ventes chinoises dans le monde en 2024). La dissymétrie est comparable dans le domaine des investissements, où les implantations chinoises au Brésil représentaient 2,2% des investissements à l’étranger du pays en 2024.

Cette asymétrie reflète la différence structurelle des dynamiques économiques entre les deux pays. Leurs PIB en dollars courants étaient comparables au milieu des années quatre-vingt-dix. Trente ans plus tard, le PIB chinois est neuf fois supérieur à celui du Brésil, qui a cessé d’émerger, c’est-à-dire de dépasser le rythme de la croissance mondiale, à partir de 2011.

Source : Banque Mondiale. Word Development Indicators


Le glissement vers une relation néocoloniale

L’asymétrie de taille n’est pas le principal problème du Brésil dans sa relation avec la Chine. Le sujet qui préoccupe le plus les économistes brésiliens est celui de la désindustrialisation du pays et du retour à un commerce extérieur de type néocolonial, avec des exportations dominées par les produits agricoles et les minerais, et des importations massives de biens de consommation et de produits industriels.

La part de l’industrie manufacturière dans le PIB brésilien a diminué de moitié depuis 1993 et plafonne actuellement autour de 12%. Dès 2015, l’économiste britannique Rhys Jenkins concluait, dans une étude sur l’impact de la compétition chinoise sur le marché brésilien, que « le Brésil a connu une relative désindustrialisation, qui est principalement due aux changements dans son commerce extérieur de biens industriels, la compétition chinoise jouant un rôle significatif dans ce processus. »

L’industrie chinoise pèse aujourd’hui vingt fois plus lourd que celle du Brésil. Cette énorme différence de potentiel se reflète dans les échanges entre les deux pays. Les exportations brésiliennes vers la Chine sont composées à plus de 90% de produits de base – soja, minerai de fer, pétrole, coton, sucre, viandes, cellulose – alors que les exportations chinoises sont composées à plus de 90% par une large gamme de produits industriels (électronique, équipements mécaniques, télécommunications, automobile) et de biens de consommation (électroménager, textiles, chaussures, jouets). Une structure d’échanges qui fait penser à ceux que le Royaume-Uni entretenait avec son empire colonial au 19ème siècle.

Le soja à lui seul représente un tiers des exportations brésiliennes vers la Chine. Celle-ci a le choix entre trois grands fournisseurs – Brésil, Argentine, États-Unis – et peut modifier la répartition de ses achats entre ces trois fournisseurs au gré de ses priorités géopolitiques. Le Brésil a profité à plein de la brouille tarifaire entre Pékin et Washington : les exportations brésiliennes vers la Chine ont représenté 84% des importations chinoises de soja au deuxième trimestre 2025, la part américaine ayant été ramenée à zéro. L’accord intervenu entre Donald Trump et Xi Jinping le 30 octobre dernier va relancer les ventes de soja américain, mais le Brésil devrait demeurer le premier fournisseur de la Chine comme il l’a été sur la période récente. Le sujet est très sensible pour Brasilia car la dépendance des exportateurs brésiliens de soja à l’égard du marché chinois est très forte (en moyenne autour de 70%).

L’équilibre délicat de la diplomatie brésilienne à l’égard de Pékin

Lors de la visite de Xi Jinping au Brésil en novembre 2024, la Chine avait proposé que le Brésil rejoigne formellement la BRI (Belt and Road Initiative). Lula avait décliné cette invitation, préférant « établir des synergies » entre son pays et la BRI. Une réaction prudente qui illustre le « non-alignement actif » de la diplomatie brésilienne. L’autonomie formelle que Brasilia entend conserver n’interdit pas des coopérations actives pour développer les infrastructures du pays et pour relancer la production industrielle. En juillet dernier, lors du sommet des BRICS dont le Brésil était l’hôte, les deux pays ont annoncé un accord pour construire une liaison ferroviaire transocéanique entre la côte pacifique et le Pérou d’une part, la côte atlantique et le Brésil d’autre part. Une liaison qui facilitera les échanges directs entre les deux pays à travers le Pacifique. Dans le même temps, le fabriquant automobile chinois BYD annonçait la construction de sa première usine de voitures électriques sud-américaine à Camaçari dans l’État de Bahia. Une décision qui fait suite à la création d’une autre usine de véhicules électriques par Great Wall Motors à Iracemápolis près de São Paulo.

Pour le Brésil, le premier levier du partenariat international entre les deux pays reste les BRICS, dont ils sont membres fondateurs et de fait coleaders. Mais, pour la première fois depuis 2013, Xi Jinping n’a pas participé au dernier sommet des BRICS organisé par Lula à Rio de Janeiro en juillet dernier, une absence liée sans doute à l’urgence des priorités domestiques face à une économie chinoise tournant au ralenti. Par ailleurs l’une des idées « révolutionnaires » avancée par Lula en 2023, consistant à créer une « monnaie commune » entre les BRICS, a provoqué des menaces de nouvelles sanctions commerciales par Donald Trump. Soucieux d’éviter une surenchère avec les États-Unis et de réussir la COP 30, qui se déroule jusqu’au 21 novembre 2025 à Belém, Lula a mis sous le boisseau ses ambitions monétaires lors du sommet des BRICS, dont les conclusions sont restées vagues.

Le second axe du partenariat international sino-brésilien est celui de l’environnement et du changement climatique. Là encore, Xi Jinping n’a pas jugé nécessaire de faire le déplacement à Belém pour le lancement de la COP 30. Il s’est fait représenter par son vice-premier ministre, Ding Xuexiang, dont l’intervention lors du sommet inaugural du 6 novembre ne comportait aucune annonce nouvelle. Le Brésil pourra tout de même compter sur la Chine pour tenter de dégager un consensus final, essentiel pour maintenir une dynamique multilatérale face au retrait des États-Unis et à la coopération minimale de l’Inde, représentée à la conférence de Belém seulement par son ambassadeur à Brasilia.

Hubert Testard