La guerre menée par Israël contre la bande de Gaza, à la suite des attaques du 7 octobre 2023, a propulsé dans l’espace public des notions juridiques jusqu’alors lointaines : colonisation, occupation, droit à l’autodétermination, légitime défense, crimes contre l’humanité, génocide… Autant de termes que chacun s’efforce de s’approprier pour saisir l’ampleur du drame en cours. Pourtant, le droit international était déjà mobilisé par l’Autorité nationale palestinienne (ANP) pour défendre l’autodétermination de son peuple et la reconnaissance de l’État de Palestine.
Jamais le droit international n’avait autant imprégné les débats. Pourtant, en Palestine, il demeure inopérant, prisonnier d’un ordre contemporain qui n’a ni empêché la poursuite des hostilités dans la bande de Gaza ni mis fin à la colonisation israélienne. Cet ordre a été forgé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par les grandes puissances d’alors, dont certaines étaient encore des empires coloniaux, qui se sont arrogé un droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies, organe qui a la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. En ce sens, cet ordre façonne les rapports de force qui restent favorables à ces puissances. Il est désormais contesté.
Un fonctionnement international remis en question
Les États dits du Sud s’efforcent de redéfinir les règles du jeu, soit en en créant de nouvelles lorsque les rapports de force le permettent, soit en mobilisant les mécanismes juridiques existants pour mieux en exposer les limites. Depuis les vagues de décolonisation des années 1950-1960, ces États sont devenus majoritaires à l’Assemblée générale des Nations unies, autre organe onusien essentiel mais dont l’influence reste limitée, ses résolutions n’ayant pas de force juridique contraignante. Malgré des rapports de force déséquilibrés, les États du Sud ont remporté des victoires significatives, dont la plus emblématique est l’inscription, dans le droit positif, de l’accès à l’autodétermination des peuples colonisés (résolution 1514/XV du 14 décembre 1960). Ce principe a depuis été consacré par la Cour internationale de justice (CIJ), qui le reconnaît comme une norme fondamentale opposable à tous les États.
Ce même raisonnement guide l’ANP, qui s’appuie sur ses alliés du Sud dans le déploiement de sa stratégie multilatérale (1). L’enjeu est de s’approprier les mécanismes internationaux et les règles juridiques afin de mieux les mobiliser au service de ses revendications. Dans cette optique, l’ANP plaide, au sein des organisations internationales, en faveur de la solution à deux États, qui repose sur la reconnaissance de l’État de Palestine. Celle-ci serait la consécration du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Depuis le 7 octobre 2023, cette stratégie demeure inchangée.
Elle trouve ses prémices dans l’avis consultatif rendu par la CIJ le 9 juillet 2004. La Cour ne se limite pas à y déclarer l’illicéité du tracé du mur israélien empiétant sur la Cisjordanie ; elle affirme également qu’Israël ne peut invoquer le droit à la légitime défense dans le cadre des relations qu’il entretient avec un territoire qu’il occupe. Surtout, elle consacre le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Cette décision s’inscrit dans un contexte particulier, qui pousse l’ANP à renoncer au bilatéralisme : l’échec du processus d’Oslo, la seconde Intifada (2000-2005), la construction du mur, la mort de Yasser Arafat (1929-2004) suivie de l’accession de Mahmoud Abbas à la présidence de l’OLP et de l’ANP, la victoire du Hamas aux législatives de 2006, ou encore l’intensification de la colonisation israélienne… Malgré tout, l’ANP continue de croire à l’importance des négociations avec Israël. Mais c’est la guerre à Gaza, entre décembre 2008 et janvier 2009, qui finit par la convaincre de se tourner vers le multilatéralisme, perçu alors comme la carte de la dernière chance.
La stratégie de l’ANP repose sur deux axes. Le premier vise à légitimer la présence de la Palestine sur la scène internationale, en s’appuyant principalement sur les Nations unies, la Ligue arabe et l’Union européenne (UE). La finalité de ce volet est l’admission de la Palestine en tant qu’État membre de l’ONU, qui achèverait son intégration pleine et entière à la société internationale. Le second axe relève d’un processus de juridicisation, consistant à investir la Cour pénale internationale (CPI) et la CIJ. Cette démarche poursuit un double objectif : d’une part, faire reconnaître le caractère étatique de la Palestine – condition préalable à l’adhésion au Statut de Rome de la CPI et à la saisine de la fonction contentieuse de la CIJ ; d’autre part, obtenir la condamnation d’Israël et de ses dirigeants pour les violations du droit international qui entravent la réalisation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, et donc, in fine, son droit à un État.
La CPI, un espace de lutte
Le 21 janvier 2009, trois jours après le cessez-le-feu à Gaza, la Palestine soumet une déclaration reconnaissant la compétence de la CPI. Cette démarche permet à un État non membre de la Cour de solliciter l’ouverture d’un examen préliminaire par le procureur sur des allégations de crimes internationaux. Parallèlement, en 2011, la Palestine engage une campagne en vue de son admission à l’ONU, dans l’objectif de devenir le 194e État membre. Toutefois, face à la menace d’un veto américain au Conseil de sécurité, elle suspend cette initiative et opte pour une stratégie de contournement de l’organe onusien, en intégrant l’UNESCO en octobre 2011.
En avril 2012, le procureur de la CPI décide de ne pas ouvrir d’enquête, tout en indiquant qu’une adhésion future de la Palestine resterait possible si celle-ci clarifie son statut, soit à l’Assemblée générale de l’ONU, soit à l’Assemblée des États parties de la Cour. La Palestine suit cette recommandation en devenant, le 29 novembre 2012, un État non-membre observateur à l’Assemblée générale. Elle tire parti de son nouveau statut onusien : en 2022, elle a déjà adhéré à près de 100 traités multilatéraux – dont le Statut de Rome en 2015 – et intégré 21 organisations internationales. Par ailleurs, au 1er janvier 2025, 148 des 193 membres de l’ONU reconnaissent l’« État de Palestine » (2).
Qui reconnaît l’État de Palestine (janvier 2025) ?
La procureure de la CPI de 2012 à 2021, Fatou Bensouda, ouvre un examen préliminaire, qu’elle clôture en mars 2019. Elle y affirme qu’il existe des bases raisonnables de croire que des crimes de guerre ont été commis, en lien avec la colonisation, la « Marche du retour » à Gaza en 2018 et les opérations militaires israéliennes. En 2021, la Chambre préliminaire I de la Cour confirme que la compétence territoriale de la juridiction couvre tout le territoire palestinien de 1967 (Gaza, Cisjordanie, Jérusalem-Est). L’enquête est alors officiellement ouverte en mars 2021, mais elle n’enregistre aucune avancée notable jusqu’aux attaques du 7 octobre 2023 et la guerre à Gaza.
Cette séquence contraint le nouveau procureur, Karim Khan, à reprendre le dossier. Le 20 mai 2024, il annonce avoir soumis à la Chambre préliminaire I des requêtes en vue de l’émission de mandats d’arrêt contre deux dirigeants israéliens – Benyamin Netanyahou, Premier ministre, et Yoav Gallant, ministre de la Défense (2022-2024) – ainsi que trois dirigeants du Hamas : Yahya Sinwar (1962-2024), Ismaïl Haniyeh (1962-2024) et Mohamed Deïf (1965-2024). Cependant, ces derniers ayant été tués par Israël, les demandes du procureur sont retirées. Le 21 novembre 2024, la Chambre délivre les mandats d’arrêt contre les deux Israéliens « pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis depuis le 8 octobre 2023 ». Les juges expliquent avoir des motifs raisonnables de croire qu’ils sont notamment responsables des faits suivants : avoir dirigé intentionnellement des attaques contre des civils persécutés et affamés, avoir privé délibérément la population de biens indispensables à sa survie (eau, nourriture, médicaments, électricité), avoir entravé l’acheminement de l’aide humanitaire, et causé des souffrances au moyen d’actes inhumains. Selon la Chambre, ces conditions ont créé « des conditions de vie calculées pour entraîner la destruction d’une partie de la population de Gaza, ce qui a provoqué la mort de civils, y compris d’enfants ».
Ces mandats d’arrêt constituent un moment de vérité pour la CPI. D’abord, il s’agit d’une victoire du droit, mais cette avancée demeure fragile, en raison notamment du manque de soutien unanime et ferme des États membres de la Cour. Ensuite, ces mandats renforcent la légitimité de la Cour, longtemps accusée de néocolonialisme, en raison d’un Bureau du procureur dont l’action s’était principalement concentrée sur le continent africain. Enfin, c’est un moment historique pour la juridiction, qui, malgré des sanctions et menaces d’une ampleur inédite – exacerbées depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier 2025 – n’a pas fléchi. De son côté, la France a déclaré que le Premier ministre israélien bénéficiait des « immunités des États non parties à la CPI », une position qui revient à traiter le droit international comme une variable d’ajustement de la diplomatie, en contradiction avec le Statut de Rome (article 27). Accorder des immunités revient à vider ce texte de sa substance et à priver la Cour de sa raison d’être.
La jurisprudence de la CPI contredit cette position française. Ainsi, lorsque la Mongolie n’a pas procédé à l’arrestation de Vladimir Poutine, président de la Russie visé par un mandat d’arrêt pour crimes de guerre, lors de sa visite sur son territoire en septembre 2024, la Chambre préliminaire II a conclu qu’Oulan-Bator avait manqué à ses obligations. Enfin, cette position française donne raison aux accusations d’un double standard dans le respect du droit international. Paris n’a jamais évoqué la possibilité d’immunités pour Vladimir Poutine, bien que sa situation soit comparable à celle de Benyamin Netanyahou : tous deux sont à la tête d’un État non partie à la CPI (Russie et Israël) et sont mis en cause pour des crimes commis sur le sol d’un État partie (Ukraine et Palestine).
La centralité de la CIJ dans la stratégie palestinienne
L’ANP mobilise une autre juridiction, la CIJ, qui exerce deux fonctions : consultative, d’abord, en rendant des avis non contraignants à la demande d’organes ou d’institutions onusiens pour les éclairer sur des questions juridiques ; et contentieuse, ensuite, en tranchant des différends entre États par des arrêts qui sont, eux, obligatoires. Dans le cas de la Palestine, ces deux fonctions ont été mobilisées. La CIJ a ainsi rendu deux avis consultatifs : le premier le 9 juillet 2004, sur le mur israélien, et le second le 19 juillet 2024, sur les conséquences des pratiques d’Israël dans le territoire occupé. La Cour doit également se prononcer dans deux affaires contentieuses : le transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem et l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza.
La décision du 19 juillet 2024 a constitué l’une des étapes les plus importantes : la Cour est revenue, d’une part, sur les conséquences des politiques et pratiques d’Israël en Palestine, notamment les lois et mesures discriminatoires contre les Palestiniens, et, d’autre part, sur les incidences de ces politiques sur le statut de l’occupation ainsi que sur les conséquences pour la société internationale. La première politique analysée est celle de l’occupation militaire israélienne, en place depuis la guerre des Six Jours de juin 1967. En droit international, une occupation n’est pas illicite en soi, à condition qu’elle reste temporaire et qu’elle n’entraîne aucun transfert du titre de souveraineté à la puissance occupante. Cependant, la CIJ considère que l’occupation israélienne revêt un caractère permanent, conduisant à une annexion d’une large partie du territoire palestinien. L’annexion est définie comme l’acquisition par la force d’un territoire occupé et son intégration dans le territoire de l’État occupant. Pour la Cour, les politiques israéliennes révèlent une volonté de contrôle permanent sur le territoire palestinien, les mesures mises en place étant conçues pour perdurer indéfiniment. Parmi elles, la politique de colonisation de peuplement, qui contrevient à l’article 49 de la quatrième Convention de Genève. Or, en 2023, quelque 715 000 colons israéliens étaient établis en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, soit une augmentation de 220 % par rapport au début des années 2000. Cette politique se caractérise par l’implantation de colonies de peuplement, la confiscation de terres palestiniennes, l’exploitation des ressources naturelles palestiniennes, l’imposition par Israël d’un droit militaire aux Palestiniens de Cisjordanie – à l’exception de ceux de Jérusalem-Est, alors que les colons relèvent des tribunaux civils israéliens –, le déplacement forcé de la population palestinienne, ainsi que l’intensification des actes de violence de la part des colons et des forces de sécurité israéliennes contre les Palestiniens. Selon la Cour, cela a créé un climat général d’impunité (3).
Enfin, la CIJ met en évidence quatre principaux types de mesures discriminatoires mises en œuvre à l’encontre des Palestiniens : la politique de permis de résidence imposée aux résidents de Jérusalem-Est, les restrictions à la liberté de circulation – avec la présence de près de 800 barrages –, la démolition de biens palestiniens, ainsi que la ségrégation raciale et l’apartheid. Sur ce dernier point, la Cour estime que les pratiques israéliennes entraînent une séparation physique entre Palestiniens et colons – par l’encerclement des communautés palestiniennes et la fragmentation du territoire – ainsi qu’une séparation juridique, les premiers étant soumis au droit militaire, tandis que les seconds relèvent du droit civil. Elle conclut que « le régime de restrictions générales qu’Israël impose aux Palestiniens […] est constitutif de discrimination systématique fondée, notamment, sur la race, la religion ou l’origine ethnique ».
Ces politiques israéliennes entravent la réalisation du droit à l’autodétermination du peuple palestinien, en modifiant le caractère physique, le statut juridique, la composition démographique et l’intégrité territoriale de la Palestine. Ces changements, selon la CIJ, « manifestent une intention de créer une présence israélienne permanente et irréversible ». La Cour affirme ainsi que la double violation du principe d’interdiction de l’acquisition de territoire par la force et du droit à l’autodétermination rend illicite la présence d’Israël en Palestine. Le 18 septembre 2024, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution reprenant les conclusions de la Cour. Elle appelle les États à s’acquitter de leurs obligations en favorisant la réalisation du droit à l’autodétermination du peuple palestinien, ce qui inclut la reconnaissance de l’État de Palestine.
Un État de Palestine à l’international, mais pas en Palestine
La stratégie multilatérale palestinienne a abouti à des succès, témoignant d’une réalité : sur la scène internationale, la Palestine est reconnue comme un État. Pourtant, elle ne parvient pas à atteindre son objectif final d’une intégration pleine et entière dans la société internationale : son admission aux Nations unies. Cet objectif demeure bloqué par le veto américain utilisé le 18 avril 2024 lors d’un vote au Conseil de sécurité.
Mais s’il existe un État de Palestine au niveau international, il n’en existe pas en Palestine. Cette stratégie multilatérale est mise en échec par le contrôle israélien du territoire palestinien, qui se manifeste par son annexion et un contrôle effectif, de la Méditerranée au fleuve Jourdain. Cette réalité interroge quant à la viabilité de la solution à deux États. Comment envisager la création d’un État palestinien alors qu’une politique d’annexion se poursuit sans réelle opposition de la communauté internationale ? Ce constat est dressé par la CIJ dans son avis du 19 juillet 2024, qui souligne en particulier la responsabilité du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale : « C’est à ces deux organes qu’il appartient de rechercher quelles mesures supplémentaires sont requises pour mettre fin à la présence illicite d’Israël. »
Ainsi, un nombre croissant de voix plaident en faveur d’un État commun. Cette position repose sur l’idée que la partition de la Palestine historique sert avant tout les intérêts de la puissance occupante, en lui permettant d’imposer une série de faits accomplis et de consolider son contrôle du territoire palestinien. Le discours en faveur de la solution à deux États se pare alors des apparences de la paix, mais il masque ses véritables intentions et justifie l’inacceptable : l’appropriation par la force d’un territoire. Ce discours paraît convenir à tous, y compris à l’ANP, mais il oublie un élément fondamental : le peuple palestinien lui-même. Pour Israël, il ne s’agit plus de défendre cette solution, mais simplement d’accepter que d’autres acteurs s’y réfèrent, car ce discours lui permet de maintenir son contrôle en entretenant l’illusion d’une situation temporaire, alors même que l’ordre colonial perdure. L’État hébreu poursuit ainsi son annexion, dans l’espoir que la société internationale finisse par accepter sa souveraineté sur toute la Palestine historique.
Les défenseurs d’un État unique partent du principe qu’il est nécessaire de repenser le cadre politique dans lequel les acteurs du conflit réfléchissent. Jusqu’à présent, la solution à deux États reposait sur l’idée que le conflit a commencé après la guerre de 1967, avec le début de l’occupation israélienne de la Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est. À l’inverse, l’option à un État suggère de remonter aux origines, jusqu’à la partition de 1947. La solution à deux États a réussi à forger un consensus au sein de la société internationale, qui suppose que la fin de l’occupation résoudrait tous les problèmes inhérents au conflit. Dans cette perspective, l’établissement de l’État de Palestine sur les lignes de 1967 apparaît comme l’apogée des aspirations palestiniennes, occultant les problématiques qui se posaient avant, notamment le droit au retour des réfugiés. Si cette option reflète une réalité sur le terrain, elle sera difficile à mettre en œuvre, notamment en raison des renoncements nécessaires de la part de la puissance occupante et de l’absence de volonté politique des acteurs internationaux.
Notes
(1) Insaf Rezagui, « Le recours aux Nations Unies par l’Autorité palestinienne », in Questions internationales, no 129, février-mars 2025, p. 66-73.
(2) La liste des membres de l’ONU reconnaissant l’État de Palestine est disponible sur : www.mofa.pna.ps/en-us
(3) Sur les violences, on peut consulter la base de données de l’ONU : www.ochaopt.org/data/casualties
Insaf Rezagui