jeudi 24 août 2023

«Que cache la mort trop évidente de Prigojine?»

 

Après sa mutinerie, en juin dernier, contre le ministre russe de la Défense, auquel il reprochait sa façon de conduire les opérations en Ukraine, des responsables américains lui avaient conseillé d’éviter de se tenir près des fenêtres ouvertes ou de boire du thé au polonium… Évguéni Prigojine, le « cuisinier » de Vladimir Poutine et chef du groupe paramilitaire Wagner, a sans doute perdu la vie dans la chute d’un avion d’affaires Embraer Legacy 600, qui assurait une liaison entre Moscou et Saint-Petersbourg.

« Sans doute » car son nom figurait sur la liste des passagers de l’appareil. Aussi faudra-t-il attendre la confirmation de sa présence à bord et, le cas échéant, l’identification de sa dépouille.

Ainsi, selon le ministère russe des Situations d’urgence, l’Embraer Legacy 600 s’est écrasé près du village de Kujenkino, dans la région de Tver, au nord-ouest de Moscou. « il y avait 10 personnes à bord, dont 3 membres d’équipage. Selon les premières informations, toutes les personnes à bord sont décédées », a-t-il précisé. Et d’ajouter qu’il effectuait toujours des recherches.

Selon des images diffusées via les réseaux sociaux, et dont on ne peut pas encore confirmer l’authenticité, on voit le Legacy 600 partir en vrille, en dégageant une fumée blanche [ou du carburant], avant de s’écraser. Certains disent voir le départ d’un missile tiré en direction de l’avion d’affaires… Mais, là encore, on ne peut pas être aussi catégorique sur ce point.

Un second avion affrété par Wagner et ayant décollé peu de temps après le Legacy 600 aurait fait demi-tour pour revenir à Moscou. Aussi, il n’est pas impossible qu’Evguéni Prigogine ait été à bord de cet appareil. D’autant plus qu’il avait l’habitude de s’enregistrer pour un vol et d’en prendre un autre.

Quoi qu’il en soit, après la mutinerie de juin, le groupe Wagner avait dû rendre une partie de son armement lourd à l’armée russe tandis que ses combattants furent, pour la plupart, invités à rejoindre la Biélorussie pour y encadrer les forces spéciales locales. En outre, ses activités en Afrique, notamment au Mali et en Centrafrique, ne furent pas remises en cause.

Ces derniers jours, Evéguéni Prigojine, qui tenait également un rôle dans les campagnes de désinformation russes, via l' »Internet Research Agency », avait été vu lors du sommet « Russie-Afrique », organisé à Saint-Pétersbourg, le 27 juillet dernier. Sa diparution présumée survient au lendemain de la diffusion d’une vidéo dans laquelle il était apparu dans un paysage désertique pour assurer qu’il travaillait à « rendre la Russie encore plus grande sur tous les continents et l’Afrique encore plus libre »… et du limogeage du général Sergueï Sourovikine, alors chef des forces aérospatiales russes, en raison de sa proximité avec Wagner.

Le portail d'Europe de l'Est Nexta rapporte quant à lui quatre possibilités évoquées ici ou là pour expliquer l'accident. Il est possible que l'Embraer ait été abattu par la défense aérienne. Des témoins auraient rapporté avoir entendu des bruits de tirs caractéristiques de la défense aérienne. Le canal Telegram Rybar, lié au ministère russe de la Défense, a évoqué un possible tir de missile antiaérien préventif.

Le journal indépendant «Moscow Times» ne croit pas au hasard. «Ni le crash, ni le lieu ne sont une coïncidence», estime un fonctionnaire du gouvernement russe dans les colonnes du journal. Quatre divisions de systèmes de défense antimissile se trouvent à proximité, à deux pas d'une résidence du président Poutine. «Regardez comment l'avion est tombé du ciel, poursuit la source anonyme. Il a été abattu. L'avion est simplement tombé du ciel.»

Certains médias russes proches du Kremlin évoquent en revanche une explosion à bord. Il semblerait qu'au dernier moment, «un cadeau particulier sous la forme d'une caisse de vin coûteux a été chargé dans l'avion», selon une source anonyme citée par Nexta. Les spéculations voudraient qu'une bombe ait été placée.

Vol retardé pour "une réparation étrange et incompréhensible"

Parmi les victimes, Dmitri Outkine, bras droit du chef de guerre et fondateur de la milice privée. Mais également Kristina Raspopova, 39 ans, et hôtesse de l'air.

Quelques heures avant le drame, cette dernière aurait informé sa famille que le vol allait être retardé, rapporte le site russe The Insider. Des proches de la jeune ont fait savoir que cette dernière leur aurait indiqué "une réparation étrange et incompréhensible" sur l'appareil.

En consistait réellement cette intervention ? Le mystère reste entier. Les enquêteurs, qui ont lancé une investigation pour "violation des règles de sécurité aérienne" sans privilégier aucune piste, sont restés muets depuis le crash de l'avion.

Sur les réseaux sociaux, des comptes proches de Wagner - qui n'a pas de présence officielle en ligne - évoquaient dès mercredi soir la thèse d'un tir de missile sol-air, alimentant les conjectures quant à un assassinat.

Prigojine a-t-il mis en scène sa mort?

Les autorités enquêtent en outre sur des erreurs de pilotage, des défauts techniques et des influences extérieures, tandis que la propagandiste Margarita Simonjan parle sur Telegram d'un scénario «très discuté»: Prigojine pourrait avoir mis sa mort en scène. Les médias russes avaient déjà annoncé la mort du chef du groupe Wagner en 2019 et en 2022, d'abord dans un accident d'avion au Congo, puis dans la région de Louhansk l'année dernière. 

Pour le conseiller du bureau du président ukrainien, Mychaïlo Podoliak, la mort de Prigojine était prévisible depuis sa mutinerie contre le Kremlin en juin. «Prigojine a signé son propre arrêt de mort au moment où il s'est arrêté à 200 kilomètres de Moscou», a-t-il déclaré au journal allemand «Bild» mercredi soir. «La révolte de Prigojine en juin a vraiment effrayé Poutine», selon lui. Les conséquences étaient dès lors prévisibles puisque «Poutine ne pardonne à personne sa propre peur».

Si la thèse du complot se confirme il s'agirait alors d'une «élimination démonstrative» et d'un «signal direct aux élites que les assassinats brutaux ont cours en Russie», poursuit Mychaïlo Podoliak. Pour lui, Moscou aurait ainsi aussi envoyé un signal à sa propre armée: «Il n'y a pas de héros là-bas et toute déloyauté sera punie de mort.»

Les données du vol qui aurait coûté la vie au chef du groupe Wagner

Les données du vol qui aurait coûté la vie à Evgueni Prigojine sont limpides. Elles montrent la descente de l'Embraer Legacy 600 qui s'est écrasé mercredi en Russie.

D'après l'analyse de ces données, le chef du groupe Wagner et les neuf autres personnes à bord ont dû vivre des derniers moments terribles. Sur les vidéos du crash, la cabine semble encore intacte jusqu'à l'impact. Mais le jet privé s'est écrasé en effectuant une descente vertigineuse en spirales. Selon toute vraisemblance, les sept passagers et les trois membres d'équipage avaient déjà perdu connaissance avant l'impact en raison de la dépressurisation rapide.

Dans une analyse des dernières minutes de vol de l'Embraer, le portail de vol Flightradar24 évoque une «descente dramatique». Apparemment, l'appareil avait déjà cessé de transmettre des données de position neuf minutes avant la rupture de toutes les liaisons de communication. La cause? Des «interférences et perturbations dans la région», selon l'analyse. Mais le jet a continué à transmettre d'autres données pendant près de neuf minutes.

Avant les dernières manœuvres fatales, l'appareil avait effectué des montées et des descentes irrégulières entre 28'000 et 30'000 pieds. Moins de huit minutes après l'interruption des signaux de position, la descente rapide s'est amorcée.

«Bien que l'avion n'ait pas transmis de données de position, d'autres données telles que l'altitude, la vitesse et les réglages du pilote automatique ont été envoyées», indique encore Flightradar24 dans un article. 

La vitesse de chute est estimée à 8000 pieds par minute. Cela correspond à environ 147 kilomètres par heure, vitesse à laquelle l'Embraer s'est écrasé au sol, hors de contrôle. Selon les rapports, l'appareil accidenté aurait déjà perdu une aile à son altitude de vol. 

D’autres questions restent en suspens, en particulier celles posées par l’ancien ambassadeur américain en Russie Michael McFaul, sur son compte X. «Pourquoi Poutine a-t-il choisi de tuer Prigojine d’une façon aussi spectaculaire? (...) Pourquoi a-t-il autorisé Prigojine à assister au sommet de Saint-Pétersbourg» entre la Russie et l’Afrique, en juillet dernier, s’interrogeait-il.

blick.ch