lundi 28 août 2023

Les Etats-Unis et l'UE trichent sur leurs propres sanctions contre la Russie

 

La Suisse est souvent critiquée pour ne pas intervenir suffisamment dans la gestion des fonds des oligarques russes. C'est en tout cas le reproche adressé dans un courrier par les ambassadeurs des Etats-Unis, de la France, de l'Italie, du Japon et de la Grande-Bretagne le 6 avril dernier. L'ambassadeur américain en Suisse, Scott Miller, a également réprimandé publiquement la Suisse sur ce sujet. 

Pourtant, les mêmes qui pointent du doigt la Suisse ne sont pas pour autant irréprochables lors de l'application de leurs propres sanctions. Voici six exemples de la manière dont les Etats-Unis, l'UE et la Grande-Bretagne contournent leurs propres sanctions.

Comment un groupe russe a disparu de la liste américaine

En avril 2018, les États-Unis ont placé le deuxième plus grand producteur d'aluminium du monde, la société russe Rusal, sur la liste des sanctions pour «comportement malveillant». Le prix mondial de l'aluminium a alors grimpé de plus de 20% sur les bourses de marchandises.

Seulement qu'un an plus tard, le vent a tourné. Le constructeur automobile américain Tesla est intervenu et a exigé que Rusal soit retiré de la liste, comme l'ont écrit plusieurs médias américains. Elon Musk a fait savoir que l'entreprise de voitures électriques avait signé un contrat de livraison avec Rusal pour le Model Y. Le patron de Tesla a mis en avant qu'une défaillance coûterait non seulement de l'argent mais également des emplois. Il semblerait qu'il ait été entendu. Donald Trump a levé en avril 2019 les sanctions contre l'entreprise russe. Peu après, Rusal a commencé à livré Tesla.

Une décision qui a également dû ravir Viktor Vekselber, le co-fondateur et ancien actionnaire de Rusal. Ce Russe de 66 ans figure depuis l'automne 2018 sur la liste des sanctions des Etats-Unis, en raison de prétendues affaires dans le secteur énergétique russe. Il s'était déjà retiré du secteur en 2012 en vendant une de ses sociétés à l'entreprise d'Etat russe Rosneft. Il avait encaissé au passage plusieurs milliards. 

Pendant ce temps, la société britannique BP ne s'est pas retirée des affaires russes. Au contraire, elle a pris une participation de 20% dans Rosneft. L'entreprise ne s'est retirée qu'en février 2022, après l'invasion de l'Ukraine. 

General Electric, grand gagnant des sanctions

Depuis le début de la guerre d'agression, de nombreuses entreprises occidentales se sont retirées de Russie, dont Siemens, Oerlikon ou Sulzer. Alors que Siemens et Sulzer ont amorti des centaines de millions, le groupe américain General Electric (GE) est resté sur place. Sa présence est certes réduite mais bien visible. Malgré le début de la guerre, l'entreprise américaine s'est concentrée sur les services énergétiques et sur l'entreprise Russian Gas Turbines. Une société russe en pleine expansion. 

General Electric profite également du retrait européen pour augmenter ses exportations en tout légalité. L'Ofac, l'autorité américaine chargée des affaires, a délivré une autorisation exceptionnelle pour permettre à GE de continuer à faire du commerce avec la Russie. Ce n'est que récemment que l'entreprise américaine s'est définitivement retiré du marché russe. Plus d'un an après Sulzer et Siemens. 

80 exceptions pour les oligarques londoniens

La Grande-Bretagne se montre particulièrement pressée de sanctionner les Russes. Ils ont inscrit plus de 100 millionnaires de Russes sur leur liste de sanctions et bloqué des avoirs d'environ 20 milliards. Pourtant, en parallèle, le ministère britannique des Finances accorde des licences spéciales aux Russes sanctionnés.

Certains conservent un accès limité à leurs avoirs pour subvenir aux «besoins de base». Est compris dans le «paquet»: le financement de villas, de ménages somptueux, de personnel, de gardes du corps, des chauffeurs ou encore de cuisiniers. Ils disposent jusqu'à un million de livres par ans. 82 licences ont déjà été attribuées. 

Belgique: pas d'arrêt du commerce des diamants russes

Anvers, en Belgique, est la capitale mondiale du commerce de diamants brut. Problème: un tiers provient de Russie. Depuis le début de la guerre, les Etats-Unis se disputent avec l'UE sur la manière de mettre un terme à cette source qui représente chaque année 4,5 milliards de francs pour le pays de Vladimir Poutine. 

Le gouvernement belge s'oppose à une interdiction dans le secteur, arguant qu'un arrêt nuirait à son économie. A la place, ils proposent d'imposer un certificat de traçabilité de tous les diamants bruts dans le cadre du Processus de Kimberley, un forum de négociation international. Seul hic, des membres du forum tels que la Russie, la Chine, la Biélorussie, le Kirghizstan, le Mali et le Niger s'y opposent. 

Le comble c'est que les Américains participent également au commerce de diamants bruts. Après avoir été «substantiellement transformés» dans un pays tiers, les diamants ne sont plus considérés comme d'origine russe selon la loi américaine sur l'embargo. 

L'Italie laisse fuir le fils de l'oligarque

Le gouvernement de droite italien a toujours eu du mal avec les sanctions contre la Russie. Lors de la négociation du dixième paquet de sanctions de l'UE au printemps 2023, le quota d'exportation de caoutchouc synthétique en provenance de Russe devait être baissé. L'Italie s'y est opposée pour protéger le groupe de pneus Pirelli de Milan. Ils ont finalement eu gain de cause. 

De plus, le traitement des oligarques russes est parfois laxiste. Rome a certes arrêté Artem Uss, le fils d'un oligarque russe proche de poutine, conformément aux sanctions de l'UE mais l'a laissé filé. Son père achetait en Europe du matériel de guerre qu'il faisait passer en Russie par des voies détournées. Après une décision de justice, Artem Uss a été assigné à résidence dans son domaine. C'est de là qu'il s'est enfui fin mars vers la Russie, comme l'a révélé récemment le «New York Times»

Un autre exemple est le super yacht Shéhérazade, qui appartiendrait à Poutine selon le «Financial Times». Il est actuellement en révision dans le port de Marina di Carrara en Toscane. Les autorités n'ont pas encore posé de questions à ce sujet. L'Italie a bloqué des avoirs russes pour un montant de 2 milliards, la banque centrale italienne ne fournit pas d'indications plus précises.

La Suisse a bloqué l'année dernière 7,5 milliards, ainsi que 15 villas. Depuis, ces chiffres devraient avoir augmenté. En revanche, on ignore combien d'avoirs de Russes sanctionnés ont été bloqués jusqu'à présent par les Etats-Unis. Mais cela n'empêche pas l'ambassadeur américain en Suisse d'émettre des critiques sévères sur le comportement de la Suisse.

La Grèce protège sa flotte de pétroliers

Le domaine de la logistique maritime compte un secret de polichinelle. Une flotte fantôme fait transiter illégalement du pétrole brut et des produits pétroliers en provenance de Russie à travers les mers du monde. L'UE voudrait empêcher cette activité. Les multiples tentatives de sanctions ont échoué face à la résistance de la Grèce, Chypre et Malte. 

Les Grecs sont particulièrement efficaces dans ces affaires. Ils ont réussi à faire plier l'UE en faisant retirer les entreprises pétrolières grecques d'une importante liste de sanctions. Des sociétés dont les pétroliers livrent des marchandises russes à des pays tiers, en violation de toutes les sanctions internationales. Une fois les entreprises retirées de la liste, la Grèce a approuvé le 11e paquet de sanction annoncé par l'UE en juin. 

Pourtant, la Grèce s'en sort mieux que la Suisse: alors que Berne a été clouée au pilori en avril dernier, les Grecs, qui torpillent chaque sanction contre la Russie, n'ont jusqu'à présent reçu aucun blâme.

Stefan Barmettler

blick.ch