dimanche 24 octobre 2010

Les nouveaux pouvoirs des services secrets

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Depuis son élection, Nicolas Sarkozy a réorganisé le renseignement. Regroupant, de la Défense à l’Intérieur et aux Finances, une "communauté" qui n’a jamais été si puissante. Modernisation ou reprise en main ? Plongée dans le monde de l’ombre.

C’est l’histoire d’un ren-dez-vous manqué. Les Français, qui frissonnent avec 007 et rient avec OSS 117, se défient de leurs services spéciaux. L’ombre de la manipulation a trop souvent occulté la lumière des succès. De l’enlèvement de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka à l’affaire Clearstream, destinée à déstabiliser un candidat à l’élection présidentielle, des agents ont accompagné, et parfois devancé, les sombres exigences du pouvoir exécutif.

Les réussites ne manquent pourtant pas, qu’il s’agisse de l’affaire Farewell, sur laquelle nous publions des documents inédits ou, plus récemment, du démantèlement de cellules islamistes en France ou de la libération d’otages en Irak.

"Entre démocratie et renseignement l’Histoire nous apprend que les relations n’ont pas toujours été sereines", a résumé François Fillon, le 20 septembre, insistant sur la "rigueur déontologique" exigée par l’"idéal démocratique". Ce jour-là, le Premier ministre s’exprimait à huis clos devant la première promotion de l’Académie du renseignement, la nouvelle école de formation commune aux agents français. Les 85 recrues de la Défense, de l’Intérieur et des Finances intègrent officiellement la "communauté du renseignement", un concept inspiré du modèle anglo-saxon.

Nicolas Sarkozy, lui aussi, s’est longtemps méfié du monde du renseignement et de ses dérives. Dès son arrivée au ministère de l’Intérieur, en 2002, il pique une colère en découvrant une "note blanche" (un rapport confidentiel non signé), rédigée par les RG, où sont évoquées des informations privées sur un prétendant à un poste ministériel. Lorsque Sarkozy revient Place Beauvau, trois ans plus tard, il fait savoir qu’il veut mettre au pas des "officines" qui, selon lui, ont "pris pour cible" sa famille dans l’affaire Clearstream.

Une fois élu, il imprime la marque de la présidentialisation du régime, aux dépens de Matignon et des Affaires étrangères : de 2007 à 2010, le visage des services français est entièrement remodelé. En juillet 2008, le chef de l’Etat obtient la création d’un service unique de renseignement intérieur, la DCRI, alors que ce projet de fusion de la DST et des RG avait été maintes fois reporté au cours des vingt dernières années. Il fait nommer deux de ses proches à la tête du renseignement extérieur et intérieur, respectivement Erard Corbin de Mangoux et Bernard Squarcini. A l’Elysée, un nouveau poste de "coordonnateur national du renseignement" est confié à l’ambassadeur Bernard Bajolet, un diplomate arabisant qui joua un rôle clef dans la libération des journalistes enlevés en Irak en 2004 et 2005.

Autre nouveauté : la notion de secret-défense ne s’applique plus seulement aux documents, mais elle concerne aussi à une vingtaine de lieux sensibles, ce qui limite les prérogatives des magistrats en cas de perquisition. Ces restrictions inquiètent le juge antiterroriste Marc Trévidic, président de l’Association française des magistrats instructeurs. "Auparavant, explique-t-il, les seuls lieux où les juges ne pouvaient pas se rendre étaient les représentations diplomatiques étrangères. On a créé d’autres sanctuaires. Pour y mener des investigations judiciaires, il faut désormais demander l’autorisation d’autorités administratives." Jamais, sous la Ve République, les services secrets n’ont concentré de tels pouvoirs.

Aussi, lorsqu’il s’agit d’enquêter sur les calomnies distillées sur Internet au sujet du couple présidentiel ou, plus récemment, de trouver l’origine de fuites dans Le Monde à propos de l’affaire Woerth-Bettencourt, l’Elysée confie-t-il l’enquête au contre-espionnage. Quitte à ce que les investigations téléphoniques réalisées s’affranchissent du contrôle de la commission chargée des écoutes, une instance rattachée à Matignon.

Libération d’otages, lutte contre l’espionnage industriel et scientifique, missions antiterroristes... A l’heure où le Premier ministre veut réconcilier les Français avec leurs services, L’Express évoque le travail des quelque 13 000 agents français. Malgré le "secret-défense" objecté par les administrations à la plupart de nos demandes.


La communauté du renseignement français

Ministère de la Défense

Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE)
Missions : renseignement extérieur.
4620 civils et militaires + 900 militaires du service action.
Budget : 527 millions d’euros.

Direction du renseignement militaire (DRM)
Missions : renseignement d’intérêt militaire (imagerie satellitaire, écoutes électromagnétiques).
1 633 militaires.
Budget : 156 millions d’euros.

Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD)
Missions : habilitation secret défense, protection des enceintes militaires et des industries de l’armement.
1 260 militaires et civils.
Budget : 96 millions d’euros.

Ministère de l’Intérieur

Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI)
Missions : contre-espionnage, lutte antiterroriste, protection du patrimoine économique et scientifique.
3 116 policiers et administratifs.
Budget : plus de 200 millions d’euros.

Ministère du Budget

Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED)
Missions : lutte contre les trafics et les fraudes.
Environ 720 agents.
Budget : non com muniqué.

Ministère de l’économie et ministère du Budget

Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin)
Missions : lutte antiblanchiment.
73 agents.
Budget : non communiqué.
Éric Pelletier
Romain Rosso