Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 13 octobre 2018

Affaire Khashoggi : les Saoudiens dépensent 110 milliards de dollars par an en équipements militaires




Conséquences économiques

L'affaire Khashoggi faisait vendredi des remous dans le monde des affaires, dont certains grands noms prennent leurs distances avec l'Arabie Saoudite, au risque de compromettre les ambitieux projets économiques de son prince héritier.

L'éditorialiste critique du pouvoir saoudien et collaborateur du Washington Post n'a plus donné de signe de vie depuis son entrée le 2 octobre au consulat d'Arabie saoudite à Istanbul. Des responsables turcs ont affirmé qu'il y avait été assassiné par des agents saoudiens. Ryad dément et maintient, sans preuve à l'appui, qu'il a quitté le bâtiment. L'affaire risque de provoquer une crise diplomatique et fait craindre des répercussions économiques.

Le milliardaire britannique Richard Branson, fondateur du groupe Virgin, a annoncé sa décision de geler plusieurs projets d'affaires avec le royaume, qui lui avait pourtant donné un poste de conseiller dans le tourisme et promis d'investir un milliard de dollars dans ses projets de tourisme spatial.

«Si ce qui a été rapporté à propos de la disparition du journaliste Jamal Khashoggi est véridique, cela changerait radicalement les perspectives d'affaires de tous les Occidentaux vis-à-vis du gouvernement saoudien», a souligné M. Branson dans un communiqué publié jeudi soir.

Si les Etats-Unis, traditionnels alliés de Ryad, ont réclamé des explications à l'Arabie saoudite, le président Donald Trump a toutefois d'ores et déjà exclu un gel des ventes d'armes américaines en guise de sanctions.

Les Saoudiens «dépensent 110 milliards de dollars en équipements militaires et sur des choses qui créent des emplois (...) dans ce pays. Je n'aime pas l'idée de mettre fin à un investissement de 110 milliards de dollars aux États-Unis» qu'ils risqueraient de «dépenser en Russie ou en Chine», a-t-il lancé depuis la Maison Blanche jeudi.

«Davos du désert»

Mais des grands noms de l'économie mondiale et des médias, censés participer à la deuxième édition du sommet «Future Investment Initiative», du 23 au 25 octobre à Ryad, ont commencé à prendre leurs distances.

Ce «Davos du désert», en référence à la réunion chaque année du gratin des affaires dans les Alpes suisses, sert de vitrine aux très ambitieux projets économiques du prince héritier Mohammed ben Salmane.

Sauf que sa liste d'invités se réduit. New York Times, CNN, LA Times, Viacom ou The Economist: plusieurs médias partenaires ont annulé leur venue. Et le patron d'Uber, Dara Khosrowshahi, n'ira pas à Ryad «à moins qu'une série de faits considérablement différents n'émerge» sur la disparition du journaliste saoudien, a-t-il dit à des journalistes, selon l'agence Bloomberg - elle même partenaire de l'événement. Le fonds souverain saoudien avait investi 3,5 milliards de dollars en 2016 dans la compagnie de VTC.

Le géant allemand Siemens, dont le patron Joe Kaeser est également invité au sommet, n'a pour l'instant pas annulé sa participation mais le groupe a fait savoir à l'AFP qu'il «surveillait la situation de près».

Sur son site internet, «Future Investment Initiative» annonce également la venue de la patronne du FMI Christine Lagarde, du patron de la grande banque américaine JP Morgan, Jamie Dimon, ou encore du secrétaire américain au Trésor Steven Mnuchin, qui ne se sont jusqu'ici pas exprimés sur leur participation.

Côté français, les dirigeants de BNP Paribas, Société Générale, Thales, EDF et AccorHotels, entre autres, sont annoncés.

Que ces têtes d'affiche viennent ou pas, l'ambiance s'est de toute façon singulièrement rafraîchie depuis l'édition 2017 du «Davos du désert». L'Arabie Saoudite avait alors sorti le grand jeu, à coups de lions en hologrammes et de robots qui parlent, pour éblouir 3.500 chefs d'entreprise.

L'enjeu va bien au-delà du prestige: Mohammed Ben Salmane, dit «MBS», a besoin d'embarquer les grands patrons et investisseurs mondiaux à bord de son pharaonique projet «Vision 2030», censé transformer le premier exportateur de pétrole mondial en géant du numérique et des services.

Le fonds souverain saoudien multiplie pour ce faire les investissements dans différents secteurs d'activité comme les voitures électriques avec Lucid, un concurrent de Tesla, ou le tourisme spatial avec Virgin.

Pour financer le tout, l'Arabie Saoudite compte mettre sur le marché 5% du géant pétrolier Aramco, ce qui pourrait rapporter pas moins de 100 milliards de dollars selon MBS. Un temps envisagée pour cette année, cette fusion monstre a finalement été repoussée à fin 2020, au plus tôt.



Washington se distancie (légèrement) de leur allié (indispensable) Saoudien

L'affaire Khashoggi continue de faire des vagues. Le président américain Donald Trump a estimé que l'Arabie saoudite pourrait être derrière la disparition du journaliste Jamal Khashoggi et que si tel était le cas, son pays infligerait un «châtiment sévère» au royaume, tout en continuant d'exclure une limitation des ventes d'armes.

«Pour l'instant, ils démentent (leur implication) et la démentent vigoureusement. Est-ce que ça pourrait être eux? Oui», a dit le président dans un entretien à la chaîne CBS, enregistré jeudi et diffusé samedi.

Si l'Arabie saoudite s'avérait effectivement responsable, il y aurait «un châtiment sévère», a-t-il ajouté dans cet entretien dont la totalité sera diffusée dimanche soir.

M. Trump a affirmé que le sujet était particulièrement important «parce que cet homme était journaliste».

Mais, interrogé sur les options envisagées, le président américain a dit ne pas être partisan d'une limitation des ventes d'armes au royaume, ce qu'il avait déjà dit précédemment.

«Je vais vous donner un exemple, ils commandent des équipements militaires. Tout le monde à travers le monde voulait cette commande. La Russie la voulait, la Chine la voulait, nous la voulions. Nous l'avons eue, et nous l'avons eue entière», a-t-il dit.

«Je vais vous dire ce que je ne veux pas faire. Boeing, Lockheed, Raytheon, je ne veux pas nuire aux emplois. Je ne veux pas perdre une commande pareille», a-t-il ajouté, estimant qu'il y avait «d'autres moyens de punir».



Série d'articles critiques de Jamal Khashoggi

Jamal Khashoggi s'est exilé aux Etats-Unis il y a un an, craignant que ses opinions ne lui valent des représailles. Il a quitté l'Arabie en septembre 2017 quand les autorités l'ont sommé de cesser de s'exprimer sur Twitter.

Au cours de l'année écoulée, il a écrit une série d'articles publiés par le Washington Post, dans lesquels il dénonçait l'attitude de Ryad à l'égard du Qatar et s'indignait de la guerre au Yémen, de la répression politique ou de la censure.


AFP