Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 27 avril 2018

Guerre contre le terrorisme; la piste du micro financement


Lors d'une conférence, François Molins a déclaré que 416 donateurs de Daesh avaient été identifiés en France. Selon lui, le groupe aurait été financé par «des sommes modiques mais en nombre important» en provenance de France.

Depuis le 26 avril au matin, près de 500 experts et 80 ministres de 72 pays se sont réunis à huis clos à Paris, afin d'échanger leurs expériences et leurs «bonnes pratiques» en matière de lutte contre le financement du terrorisme, dans le cadre de la conférence «No money for terror». En ligne de mire : les groupes terroristes djihadistes Daesh et Al-Qaïda.

Interrogé sur France Info, le procureur de Paris François Molins a révélé le 27 avril qu'un total de 416 donateurs ayant participé au financement du groupe Daesh avaient été identifiés en France. Il s'est alarmé d'un «micro financement» du terrorisme alimenté par des sommes «modiques mais en nombre important».

C'est notamment face à ce «terrorisme low cost», qui mobilise des sommes d'argent limitées, difficiles voire impossibles à tracer et repérer à l'avance, que sont confrontés les enquêteurs et services antiterroristes du monde entier depuis plusieurs années.

Dans les colonnes du journal Le Parisien, François Molins a détaillé les moyens utilisés pour financer Daesh sur leurs théâtres d'opération, notamment au Moyen-Orient : «D'abord la zakat, la charité : on envoie de l'argent à des associations à but humanitaire ou directement à des membres de sa famille qui sont sur place [...]  Ensuite, il y a la ghanima, le butin de guerre, c'est-à-dire le financement par des actes délictueux.»

Plusieurs dossiers, dans lesquels des parents sont soupçonnés d'avoir envoyé de l'argent à leur enfant parti combattre aux côtés de groupes djihadistes, sont entre les mains de la justice, et des condamnations pour de tels faits ont déjà été prononcées.

Les failles du système de mandat cash, qui permet de transférer très rapidement de l'argent à un tiers, ont aussi été utilisées pour financer les djihadistes partis combattre en zone irako-syrienne. Soupçonnée d'avoir manqué de vigilance en la matière, La Banque postale est visée depuis septembre par une enquête préliminaire du parquet de Paris.

Daech posséderait un magot d'environ 3,6 milliards de dollars

Malgré des défaites majeures essuyées l'année dernière en Irak et en Syrie, le groupe Etat islamique est loin d'être éradiqué. Selon les dernières estimations des services de renseignement, Daech posséderait un magot d'environ 3,6 milliards de dollars. A titre de comparaison, Europe 1 relève qu'Abou Bakr al-Baghdadi, le calife de l'EI, serait en mesure de racheter Air France.

Réunis mercredi et jeudi à Paris pour tenter de contrer le financement du terrorisme international, les spécialistes de la lutte antiterroriste ne cachent pas leur vive inquiétude. Daech, bien que battu sur le terrain et privé de ses principales sources de revenus, a en effet largement les moyens de financer sa réorganisation.

Il a fallu trois ans à l'EI pour récolter cette somme astronomique. Le pétrole du nord de l'Irak et de la Syrie a rapporté au califat une centaine de millions de dollars par année, à quoi viennent s'ajouter 40% de la production céréalière de l'Irak et 80% du coton syrien. Les jihadistes rackettaient les chrétiens, les chiites et les yazidis, à qui ils confisquaient les terres pour les louer en fermage à leurs sympathisants. Le ministère de la Ghanima (butin en arabe) distribuait alors aux combattants étrangers les biens volés. La femme d'un des terroristes du Bataclan a par exemple reçu un appartement à Mossoul où elle ne payait ni l'eau, ni les impôts, ni l'électricité.

«Une idée de génie» 

L'EI a engrangé un milliard de dollars supplémentaire grâce à la dîme prélevée sur les transactions locales, que ce soit sur les actes de mariage, les transports ou les commerces. Les amendes distribuées aux habitants ne respectant pas la loi imposée par Daech (voiles pas assez couvrants, barbes trop courtes, fumée dans la rue) représentent, qui plus est, une manne considérable.

Le groupe Etat islamique s'est servi de cet argent pour passer dans la clandestinité et se réorganiser. Selon «Le Monde», Daech a investi dans des affaires totalement légales, comme par exemple le rachat en Irak de fermes piscicoles qui élèvent des carpes. Un business lucratif tant les Irakiens raffolent de la carpe grillée. «C'était une idée de génie. Certaines fermes étaient financées par l'argent de Daech directement, d'autres appartenaient à des particuliers victimes de racket», explique le général Ayad, porte-parole du commandement des opérations de Bagdad.

Au Proche Orient et en Turquie, l'EI investit également dans des bureaux de change qui leur permettent d'envoyer de l'argent à des clandestins de manière anonyme. Un casse-tête pour les services de renseignement. «La victoire militaire contre l'EI en Irak et en Syrie «ne nous prémunit ni contre la résurgence de Daech ni contre l'activité des groupes et individus ayant prêté allégeance à cette organisation», a averti l'Elysée. Emmanuel Macron doit clôturer la conférence après deux jours de tables rondes à huis clos.