Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 9 mars 2018

Un Suisse fait partie de la brigade des martyrs de Daech


Identifié par son nom de guerre Abu Ilias al-Swisri sur une liste Interpol de 173 terroristes présumés, ce jeune Suisse serait extrêmement dangereux. D’autant plus qu’on ignore où il se trouve…

Un Suisse âgé d’une vingtaine d’années a été identifié par Interpol comme un combattant de l’Etat islamique entraîné aux attentats, et son possible retour inquiète les autorités helvétiques, qui ont ouvert une enquête pénale contre lui, a appris Le Temps.

C’est en mars 2015, alors que la bataille entre l’Etat islamique et les Kurdes faisait rage à Mossoul en Irak, qu’Abu Ilias al-Swisri, de son nom de guerre, aurait rejoint le «califat» de l’EI.

Alors âgé d’à peine 20 ans, il est aussitôt intégré dans un «hôtel pour combattants» (battalion guest house), comme c’est la procédure au sein de Daech pour les combattants en provenance de l’Europe. Suivront quinze jours d’entraînement aux armes et l’apprentissage de la charia.

Abu Ilias n’est pas le seul Suisse à être parti en Syrie rejoindre l’Etat islamique. Mais il serait l’un des plus dangereux. C’est en tout cas ce qu’indique une notice Interpol datant du 27 mai 2017, produite par son secrétariat général basé à Lyon et obtenue par Le Temps.

Basée sur des recherches menées par «des sources fiables américaines», cette liste vise à signaler 173 individus faisant partie de la «Brigade des martyrs» de l’EI. Chacun d’entre eux aurait potentiellement démontré la volonté de commettre un attentat suicide ou une opération martyre pour le compte de l’EI.

Le FBI, qui a transmis la note, ajoute: «Ces individus peuvent avoir été entraînés à construire et positionner des engins explosifs improvisés afin de causer des morts et des blessures graves. Nous pensons qu’ils peuvent voyager au niveau international afin de participer à des activités terroristes.»

Disparu dans la nature

Depuis plusieurs années, les artificiers de l’Etat islamique se sont spécialisés dans le déclenchement de bombes artisanales puissantes, dissimulées dans des téléphones portables comme le Nokia 105 RM-908, indique un récent rapport de Conflict Arm Research.

Parmi les 173 djihadistes figurant sur la liste d’Interpol, 132 sont Irakiens et seuls six proviennent d’Europe. Pour la plupart en dessous de la trentaine, on trouve parmi eux l’Allemand Abou Asid al-Almani (Asid l’Allemand), qui était affilié à une milice salafiste, où encore le Hollandais Abou Umar Abd al-Rahman al-Hawlandi (Omar le Hollandais). Le rapport précise que ces données ont été «identifiées sur la base de matériel retrouvé dans des caches de l’ISIL», l’Etat islamique de l’Irak et du Levant, c’est-à-dire la Syrie.

Ces documents auraient été récupérés à Mossoul après une bataille en 2016. Très précise, la liste détaille les noms et alias de ces potentiels terroristes en anglais et en arabe, ainsi que leur date de naissance et le prénom de leur mère. Elle a permis de constituer une base de données pour le renseignement européen afin de surveiller leur potentielle entrée en Europe.

Parmi les 173 noms se trouve Abu Ilias al-Swisri. Agé aujourd’hui de 23 ans, le jeune homme a rejoint les rangs de l’EI le 5 mars 2015. Il a depuis disparu dans la nature, même si des sources bien renseignées écartent l’idée qu’il soit rentré en Suisse. «Il n’est pas rentré, il n’est pas considéré comme mort, il fait clairement parie des gens qui pourraient revenir», indique une personne qui connaît le cas. Ce scénario inquiète particulièrement Berne, même si rien ne dit que la Suisse soit une cible prioritaire pour les djihadistes revenant en Europe.

Nous avons pu retrouver ce qui semble être son compte Twitter. En couverture, une photo d’une mosquée et la mention, comme lieu géographique, de la Syrie. L’unique tweet sur ce compte est écrit en français. Quasiment inactif, le compte ne possède que quatre abonnés, dont deux sont des islamistes.

Le danger des faux passeports

Si aucun des membres de cette liste n’a encore été signalé en Europe, les services de police européens s’inquiètent de la facilité avec laquelle l’Etat islamique pourrait utiliser de faux passeports et de fausses identités pour envoyer des combattants en Occident.

Dans une note Interpol datée du début 2016, les services de police italiens écrivent ainsi que «l’Etat islamique a pris le contrôle du bureau polygraphique syrien et est en mesure de créer des passeports officiels».

Impossible de dire si c’est le cas pour Abu Ilias. Mais nos recherches ont permis d’identifier un autre aspirant djihadiste suisse qui a utilisé ce système. Il s’agit du Genevois G. Aujourd’hui condamné, il avait été appréhendé par la police turque avec un faux passeport syrien au nom d’El Aserah Mahmut Seyh.

Après avoir été jugé et condamné, G. a aujourd’hui repris une vie normale. Il fait partie des 16 djihadistes suisses a être rentrés au pays, sur les 79 partis sur le front syrien. A cela s’ajoutent 23 volontaires islamistes qui sont morts au combat.

Le reste, une petite cinquantaine d’individus, serait toujours sur place. Ou quelque part sur le chemin du retour, entre la Syrie et l’Europe, à moins qu’ils ne se soient égaillés ailleurs au Moyen-Orient, en Asie ou en Afrique. Certains Suisses seraient prisonniers des Kurdes, mais il est impossible à ce stade de savoir combien.

«Cinquante personnes, cela fait beaucoup», note un connaisseur du cas, qui relève que la Suisse est «concernée par ce phénomène [des revenants] au même titre que la plupart des pays européens».

Contacté par Le Temps, le Ministère public de la Confédération confirme qu’Abu Ilias al-Swisri fait l’objet d’une plainte pénale. Refusant de commenter la note d’Interpol, l’un des porte-parole de la police fédérale (fedpol), Thomas Dayer, précise simplement que «la communication entre Interpol et la Suisse est excellente». Ce qui signifie que la liste a probablement été reçue à Berne.

Thomas Dayer ajoute aussi que chaque semaine, des membres de la Taskforce Tetra, qui comprend des éléments du MPC, de la police fédérale et des services de renseignement suisses (SRC), se réunissent pour discuter de tous les cas de djihadistes suisses, dont ceux qui manquent encore à l’appel. Un ensemble de noms où, selon une autre source, figure aussi celui d’Abu Ilias.

Antoine Harari
Piero Messina
Sylvain Besson