Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 16 mars 2018

Berne veut-elle éviter une crise diplomatique avec la Turquie ?


Une petite fête improvisée a été organisée dans le jardin de l'ambassade turque à Berne pour remercier l'attaché de presse de ses services avant son départ précipité vers la Turquie. (Photo: Keystone)



Les deux diplomates de l'ambassade turque à Berne impliqués dans la préparation et la planification du rapt d'un opposant en Suisse ont eu beaucoup de chance. En dépit de la procédure pénale à leur encontre, ils ont pu quitter la Suisse alors qu'ils ne bénéficiaient pas de l'immunité diplomatique, explique le Tages-Anzeiger dans son édition du 16 mars 2018.

Les autorités helvétiques étaient pourtant au courant des plans de Haci Mehmet Gani depuis la fin 2016 au moins, mais le numéro deux de l'ambassade a pu rentrer en Turquie en août 2017 sans être inquiété. Quant à Hakan Kamil Yerge, second secrétaire de l'ambassade, il a quitté la Suisse en novembre 2016, après trois années en poste à Berne.

Un départ précipité

Le Ministère public de la Confédération (MPC) n'a démarré son enquête qu'en mars 2017 après en avoir discuté avec le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). A ce moment, les autorités suisses ont assez d'éléments justifiant l'interrogatoire, voire l'interpellation de Haci Mehmet Gani. Mais ce dernier a été prévenu de la procédure pénale à son encontre.

Une petite fête improvisée est alors rapidement célébrée dans le jardin de l'ambassade turque à Berne pour remercier l'attaché de presse de ses services avant son départ précipité vers la Turquie.

Une fuite dans les médias

Les autorités helvétiques ne réagissent pas et il faut que l'affaire fuite dans les médias à la mi-mars pour qu'elles s'activent. En début de semaine, un an après le début de l'enquête, le MPC demande au DFAE si les deux diplomates en question bénéficiaient de l'immunité diplomatique.

Cette convention ne protège pas les diplomates coupables de crimes graves, contrairement à la croyance populaire. Et il ressort que les activités des deux membres de l'ambassade n'étaient pas couvertes par l'immunité diplomatique. Trop tard pour qu'ils répondent de leurs actes devant la justice suisse et Ankara n'acceptera jamais de les livrer à Berne.

Violation de la souveraineté Suisse

Cette inaction pose beaucoup de questions. La Suisse a-t-elle fait traîner l'affaire pour éviter une crise diplomatique en permettant aux deux diplomates de s'éclipser discrètement? La Suisse a-t-elle fait savoir à Ankara qu'elle ne tolérait pas la violation de sa souveraineté, ce qui a poussé le régime turc à rappeler ses diplomates incriminés?

Le DFAE a de son côté indiqué à plusieurs reprises au régime turc que ses activités d'espionnage contre la diaspora établie en Suisse étaient inacceptables et que la Turquie devait remplir ses obligations internationales.

Réaction politique

Les parlementaires suisses de tous bords exigent désormais une réaction beaucoup plus musclée. «Le Conseil fédéral doit faire comprendre à la Turquie clairement et publiquement qu'elle doit respecter le système juridique suisse», a déclaré Christian Levrat, le président du Parti socialiste suisse.

Adrian Amstutz, pourtant rarement d'accord avec le conseiller aux Etats fribourgeois, approuve. Les habituelles protestations diplomatiques ne suffisent plus et «couvrir de tels incidents avec le public ne fera qu'inciter les Turcs et d'autres Etats à continuer», souligne le conseiller national (UDC/BE).

Le conseiller national Hans-Peter Portmann (PLR/ZH), demande de son côté que «le Conseil fédéral expulse immédiatement tous les diplomates turcs et les ressortissants turcs qui ont connaissance de ces événements».

Pour le député socialiste Carlo Sommaruga, la Suisse ne peut pas rester les bras croisés. «Je suis scandalisé qu'un Etat vienne enfreindre ainsi la souveraineté de la Suisse. Il faut une réaction», estime le Genevois, qui appelle au rappel de l'ambassadeur suisse à Ankara, à la suspension des négociations sur un accord de libre-échange, et même au refus d'une libéralisation des visas pour la Turquie.

«C’est une opération agressive contre la souveraineté de notre pays commise par un Etat totalitaire contre un citoyen suisse. Le moment est donc venu de réagir», a quant à lui affirmé l’ancien chef du Service de renseignement suisse Peter Regli, interrogé par la Radio télévision suisse (RTS).

Pas de sanctions diplomatiques

Vendredi 16 mars 2018, la secrétaire d'Etat aux affaires étrangères Pascale Baeriswyl a toutefois exclu toute sanction diplomatique à l’égard de la Turquie. «A partir du moment où le Conseil fédéral autorise le MPC à mener ses investigations, nous ne prenons plus d'instruments diplomatiques ou de mesures diplomatiques, parce que ce serait interférer dans une procédure judiciaire», a-t-elle déclaré à la RTS.

ATS