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dimanche 5 novembre 2017

Une purge sans précédent vise princes et ministres en Arabie saoudite


Le prince héritier et homme fort du royaume, Mohammed ben Salmane, semble chercher à étouffer les contestations internes avant tout transfert formel du pouvoir par son père, le roi Salmane, âgé de 81 ans. (Image 24 août 2017) (Photo: AFP)



Des dizaines de princes, de ministres et d'hommes d'affaires ont été arrêtés en Arabie saoudite lors d'une opération anticorruption qualifiée de «décisive» par les autorités. Le jeune prince héritier Mohammed ben Salmane continue de renforcer son emprise sur le pouvoir.

Le célèbre milliardaire et homme d'affaires Al-Walid ben Talal fait partie des 11 princes appréhendés samedi soir, ont indiqué des médias. Parallèlement, Metab ben Abdallah, chef de la puissante Garde nationale saoudienne, un temps considéré comme prétendant au trône, ainsi que le chef de la Marine Abdallah Al-Sultan et le ministre de l'Economie Adel Fakih ont été abruptement limogés dans le cadre de cette purge sans précédent.

Pas de traitement de faveur

Le procureur général d'Arabie saoudite a promis dimanche une «ferme application» de la loi. «Les suspects se voient accorder les mêmes droits et le même traitement que n'importe quel autre citoyen saoudien. La position ou le statut d'un suspect n'influencent pas l'application ferme et juste» de la loi, a déclaré Cheikh Saoud Al Mojeb qui fait lui-même partie de la nouvelle commission formée conformément à un décret royal.

Ces arrestations et les limogeages interviennent au moment où le prince Mohammed, 32 ans, fils du roi Salmane lui-même âgé de 81 ans, ne cesse de consolider son pouvoir au milieu de changements économiques et sociaux inédits dans le royaume ultraconservateur.

La chaîne satellitaire Al-Arabiya, à capitaux saoudiens, précise que 11 princes, quatre ministres et des dizaines d'anciens ministres ont été arrêtés. Selon le procureur général, les suspects de corruption ne bénéficieront pas de pas de traitement de faveur.

Cette opération a eu lieu juste après la mise en place d'une nouvelle commission anticorruption présidée par le prince héritier, conformément à un décret royal. Cette commission a lancé une enquête sur les inondations meurtrières ayant dévasté en 2009 la ville de Jeddah (ouest), sur la mer Rouge, à la suite de pluies torrentielles.

Nouvelle ère

L'agence de presse officielle saoudienne SPA a indiqué que l'objectif de la commission était de «préserver l'argent public, punir les personnes corrompues et ceux qui profitent de leur position».

Le cours des actions de Kingdom Holding Company, société internationale d'investissement détenue à 95% par le prince Al-Walid, a chuté de 9,9% à l'ouverture de la Bourse de Ryad dimanche, au lendemain de l'arrestation présumée du milliardaire, qui n'a pas été confirmée officiellement.

Avec ces arrestations, «le royaume ouvre une nouvelle ère et une politique de transparence, de clarté et de responsabilité», a déclaré dimanche le ministre des Finances Mohammed al-Jadaan. Il a ajouté que ces actions «décisives préserveront le climat pour les investissements et renforceront la confiance dans l'Etat de droit».

Onde de choc

Le Haut comité des oulémas, un organe religieux influent, a très vite réagi en affirmant que la lutte anticorruption était «aussi importante que le combat contre le terrorisme».

Une source de l'aviation a par ailleurs indiqué que les forces de sécurité avaient cloué au sol des avions privés, peut-être pour empêcher que certaines personnalités ne quittent le territoire.

«L'étendue et l'ampleur de ces arrestations semblent être sans précédent dans l'histoire moderne de l'Arabie saoudite», a affirmé Kristian Ulrichsen, spécialiste du Golfe à l'institut Baker de l'université Rice, aux Etats-Unis. «Si la détention du prince Al-Walid ben Talal se confirme, elle constituera une onde de choc sur le plan intérieur et dans le monde des affaires internationales», a estimé cet expert.

Arrestations en septembre

Cette vaste purge a eu lieu moins de deux semaines après une intervention choc du prince héritier, surnommé MBS, à un forum économique d'investisseurs le 24 octobre à Ryad.

Ce jour-là, il avait promis une nouvelle Arabie «modérée, ouverte et tolérante», en rupture avec l'image d'un pays longtemps considéré comme l'exportateur du wahhabisme, version rigoriste de l'islam qui a nourri nombre de djihadistes à travers le monde. «Nous n'allons pas passer 30 ans de plus de notre vie à nous accommoder d'idées extrémistes et nous allons les détruire maintenant», avait-il assuré.

En septembre, les autorités avaient annoncé la levée de l'interdiction faite aux femmes de conduire - une révolution - mais, peu auparavant, elles avaient déjà procédé à des arrestations dans les milieux religieux et intellectuels. Des ONG avaient alors dénoncé «l'autoritarisme» de MBS.

Mohammed ben Salmane, réformateur à la poigne de fer

Devenu prince héritier en juin au terme d'une ascension fulgurante, Mohammed ben Salmane, 32 ans, s'est assigné pour mission de réformer le royaume ultraconservateur. Il a dans le même temps tout en affichant une poigne de fer dans le contexte de crise ouverte avec le Qatar voisin.

Ces derniers mois, celui que l'on surnomme «MBS» a lancé plusieurs chantiers de réformes qui marquent le plus grand bouleversement culturel et économique de l'histoire moderne du royaume, dont la moitié de la population (31 millions) a moins de 25 ans.

Attaché à desserrer le carcan des milieux religieux sur la société, il promettait fin octobre une Arabie «modérée», pratiquant un islam «tolérant et ouvert».

Si elle pouvait déclencher une opposition des conservateurs, cette vision a connu un début de concrétisation: les femmes ont obtenu en septembre le droit de conduire, une décision historique dont il est considéré comme l'inspirateur. Les cinémas vont bientôt ouvrir et des Saoudiennes ont célébré la fête nationale mêlées aux hommes. Du jamais vu.

Cet assouplissement n'aurait pas été possible, selon des experts, sans l'arrestation en septembre de dizaines de religieux et d'intellectuels. Des mesures perçues comme une démonstration de force du prince Mohammed pour renforcer son emprise politique, mais dénoncées par des organisations de défense des droits de l'Homme.

D'abord nommé vice prince héritier le 29 avril 2015, le jeune prince a été l'inspirateur d'un vaste programme de réformes économiques de son pays, certes le premier exportateur du pétrole, mais trop dépendant de cette ressource. Né le 31 août 1985, l'homme à la barbe noire et à la calvitie naissante travaille 16 heures par jour et dit que sa mère l'a élevé strictement.

ATS